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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

tache Deschamps, il n’en devine aucun. Son procédé, de tout point, se circonscrit.

Surville, lisant les observations de l’abbé Sallier sur les poésies de Charles d’Orléans, a dû méditer ce passage : « Pour ce qu’il y aurait à reprendre dans la versification du poète, il suffira de dire que la plupart de ses défauts ne tiennent qu’à l’imperfection du goût de ces premiers temps : l’idée des beaux vers n’était pas encore venue à l’esprit, et elle était réservée à un siècle plus poli. » Mais supposons que cette idée fût, en effet, venue à quelqu’un, pensa Surville. Et comme il avait lui-même le vif sentiment des vers, il ne s’occupa plus que du moyen, à cette distance, de le réaliser.

Faisons, se dit-il encore, faisons un poète tout d’exception, un pendant de Charles d’Orléans en femme, mais un pendant accompli[1].

Une fois la pensée venue, qui l’empêcha de se lier avec quelqu’un des érudits ou des amateurs en vieux langage, sinon avec Sainte-Palaye, mort en 1781, du moins avec son utile collaborateur Mouchet, avec La Borde ? Il avait composé des pièces de vers dans le goût de son temps ; il essaya, La Combe ou Porel en main, d’en envieillir légèrement quelqu’une, et il en fit sans doute l’épreuve sur l’un ou l’autre de ses doctes amis[2]. Sûr alors de sa veine, il n’eut plus qu’à la pousser. Il combina, il caressa son roman ; il créa son aïeule, l’embellit de tous les dons, l’éleva et la dota comme on fait d’une enfant chérie. Il finit par croire à sa statue comme Pygmalion et par l’adorer. Que ce serait mal connaître le cœur humain, et même d’un poète, que d’argumenter de ce qu’à l’heure de sa mort, écrivant à sa femme, il lui recommandait encore ces poésies comme de son aïeule, et sans

  1. Un Charles d’Orléans femme, ce genre de substitution de sexe est un des déguisemens les plus familiers à Surville dans ses emprunts et imitations. Ainsi quand il imite les Tu et les Vous, on a vu que c’est adressé à Corydon et non plus à Philis ; ainsi quand il s’inspire des Trois Manières, au lieu de l’archonte Eudamas pour président, il institue la reine Zulinde, et on a, par contre, les chanteurs et conteurs Lygdamon, Tylphis et Colamor, au lieu des trois belles, Églé, Téone et Apamis.
  2. L’épreuve ne pouvait être que relative, et elle se marque aux connaissances imparfaites d’alors. Des personnes familières avec les vieux textes noteraient aujourd’hui dans Clotilde les erreurs de mots dues nécessairement à cette manière de teinture. Quand La Combe ou Borel se trompent dans leurs vocabulaires, Surville les suit. Roquefort, en son Glossaire, remarque que le mot voidie, voisdie, ne signifie pas vue, mais pénétration, prudence fine, ruse. Surville lit dans Borel que voidie signifie aussi vue, et il l’emploie en ce sens (fragment III, vers 17).