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Bibliothèque[1], jetaient comme un pont de l’érudition au public : Tressan, en maître de cérémonies, donnait à chacun la main pour y passer. L’avocat La Combe fournissait le Vocabulaire. Qu’on y veuille songer, entre Tressan rajeunissant le vieux style, et Surville en vieillissant le moderne, il n’y a qu’un pas : ils se rejoignent.

Ce n’est pas tout, et l’on serre de plus près la trace. Par l’entremise de ces académiciens-amateurs auxquels il faut adjoindre Caylus, il s’établit dans un certain public une notion provisoire sur le moyen-âge, et un lieu commun qu’on se mit à orner. Moncrif arrange son Choix d’anciennes chansons, et rime, pour son compte, ses deux célèbres romances dans le ton du bon vieux temps, les constantes Amours d’Alix et d’Alexis, et les Infortunes inouies de la tant belle comtesse de Saulx. Saint-Marc compose pour le mariage du comte de Provence (1771) son opéra d’Adèle de Ponthieu, dans lequel les fêtes de la chevalerie remplacent pour la première fois les ingrédiens de la magie mythologique ; c’est un Château d’Otrante à la française ; la pièce obtient un prodigieux succès et l’honneur de deux musiques. On raffole de chevaliers courtois, de gentes dames et de donjons. Du Belloy évoque Gabrielle de Vergy ; Sédaine (Grétry aidant) s’empare du fabliau d’Aucassin et Nicolette. Legrand d’Aussy s’empresse de rendre plus accessibles à tous les Contes pur gaulois de Barbazan. Sautreau de Marsy avait lancé, en 1765, son Almanach des Muses ; plus tard, avec Imbert, il compile les Annales poétiques, par où nos anciens échantillons quelque peu blanchis s’en vont dans toutes les mains. Dans le premier de ces recueils, c’est-à-dire l’Almanach, les rondeaux, triolets et fabliaux à la moderne foisonnent ; le jargon puérilement vieillot gazouille ; les vers pastiches ne manquent pas : c’est l’exact pendant des fausses ruines d’alors dans les jardins. Dans l’un des volumes (1769), sous le titre de Chanson rustique de Darinel, je lis, par exception, une charmante petite pièce gauloise communiquée peut-être par Sainte-Palaye[2]. Enfin La Borde, éditeur des Chansons du châtelain de Coucy, ne ménage, pour reproduire nos vieilles romances avec musique, ni ses loisirs ni sa fortune, et il ne résiste pas non plus à un certain attrait d’imitation. On arrive

  1. Il y fut fort aidé par Contant d’Orville et par M. Magnin, de Salins, père du nôtre.
  2. M. Paul Lacroix, à qui je suis redevable de plus d’une indication en tout ceci, me signale encore d’Arnaud-Baculard comme un des auteurs les plus probables de vieux vers pastiches. En sujets fidèles, on prêtait surtout des chansons à nos rois.