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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

qu’être plus voisin des choses et des hommes, une fois qu’on vient à plus de cinquante ans de distance, cela ne signifie trop rien, et que tout est également à rapprendre, à recommencer. Et puis il arrivait, au sortir du moyen-âge, ce qu’on éprouve en redescendant des montagnes : d’abord on ne voit derrière soi à l’horizon que les dernières pentes qui vous cachent les autres ; ce n’est qu’en s’éloignant qu’on retrouve peu à peu les diverses cimes, et qu’elles s’échelonnent à mesure dans leur vraie proportion. Ainsi le XIIIe siècle littéraire, dans sa chaîne principale, a été long à se bien détacher et à réapparaître.

Au XVIIe siècle, il se fait une grande lacune dans l’étude de notre ancienne poésie, j’entends celle qui précède le XVIe. La préoccupation de l’éclat présent et de la gloire contemporaine remplit tout. De profonds érudits, des juristes, des feudistes, explorent sans doute dans tous les sens les sources de l’histoire ; mais la poésie n’a point de part à leurs recherches : ils en rougiraient. Un jour, Chapelain, homme instruit, sinon poète, fut surpris par Ménage et Sarazin sur le roman de Lancelot, qu’il était en train de lire. Il n’eut pas le temps de le cacher, et Ménage, le classique érudit, lui en fit une belle querelle. Sarazin, qui avait trempé, comme Voiture, à ce vieux style, se montra plus accommodant. Il faut voir, dans un très agréable récit de ce dialogue, que Chapelain adresse au cardinal de Retz, et qui vaut mieux que toute sa Pucelle, avec quelle précaution il cherche à justifier sa lecture, et à prouver à M. Ménage qu’après tout il ne sied pas d’être si dédaigneux, quand on s’occupe, comme lui, des origines de la langue[1]. — Un autre jour, en plein beau siècle, Louis XIV

    été tentée d’un très vieux texte non rajeuni, est pleine de fautes, d’endroits corrompus et non compris. De Loisel à Méon inclusivement, quand on avait affaire même à de bons manuscrits, on paraissait croire que tous ces vieux poètes écrivaient au hasard, et qu’il suffisait de les entendre en gros. Un tel à-peu-près, depuis quelques années seulement, n’est plus permis.

  1. Continuation des Mémoires de Sallengre, par le P. Desmolets, t. VI, seconde partie. — Chapelain montre très bien le profit philologique qu’il y aurait, presque à chaque ligne, à tirer de ces vieilles lectures ; mais il se trompe étrangement lui-même quand il croit que son roman de Lancelot en prose (édition Vérard probablement), qui était pour la rédaction de la fin du XVe siècle ou du XVIe, remonte à plus de quatre cents ans, et va rejoindre le français de Villehardouin. Il est d’ailleurs aussi judicieux qu’ingénieux lorsque, sortant de la pure considération du langage et en venant au fond, il dit que, « comme les poésies d’Homère étaient les fables des Grecs et des Romains, nos vieux romans sont aussi les fables des Français et des Anglais ; » et quand il ajoute par une vue assez profonde : « Lancelot, qui a été composé dans les ténèbres de notre antiquité moderne, et sans autre lecture