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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

serait tenté de faire à l’éditeur posthume se trouvera par là même évanouie.

Le marquis de Surville était né en 1755, selon Vanderbourg, ou seulement vers 1760, selon M. Du Petit-Thouars (Biographie universelle) qui l’a personnellement connu ; ce fut en 1783 qu’il découvrit, dit-on, les manuscrits de son aïeule, en fouillant dans des archives de famille pour de vieux titres ; ce fut du moins à dater de ce moment qu’il trouva sa veine et creusa sa mine. Il avait vingt-deux ou vingt-sept ans alors, très peu d’années de plus qu’André Chénier. Or quel était, en ce temps-là, l’état de bien des esprits distingués, de bien des imaginations vives, et leur disposition à l’égard de notre vieille littérature ?

On a parlé souvent de nos trois siècles littéraires ; cette division reste juste : la littérature française se tranche très bien en deux moitiés de trois siècles, trois siècles et demi chacune. Celle qui est nôtre proprement, et qui commence au XVIe siècle, ne cesse plus dès-lors, et se poursuit sans interruption, et, à certains égards, de progrès en progrès, jusqu’à la fin du XVIIIe. Avant le XVIe, c’est à une autre littérature véritablement, même à une autre langue, qu’on a affaire, à une langue qui aspire à une espèce de formation dès le XIIe siècle, qui a ses variations, ses accidens perpétuels, et, sous un aspect, sa décadence jusqu’à la fin du XVe. La nôtre se dégage péniblement à travers et de dessous. On cite en physiologie des organes qui, très considérables dans l’enfant, sont destinés ensuite à disparaître : ainsi de cette littérature antérieure et comme provisoire. Telle qu’elle est, elle a son ensemble, son esprit, ses lois ; elle demande à être étudiée dans son propre centre ; tant qu’on a voulu la prendre à reculons, par bouts et fragmens, par ses extrémités aux XVe et XIVe siècles, on y a peu compris.

On en était là encore avant ces dix dernières années. Certes les notices, les extraits, les échantillons de toutes sortes, les matériaux en un mot, ne manquaient pas ; mais on s’y perdait. Une seule vue d’ensemble et de suite, l’ordre et la marche, l’organisation, personne ne l’avait bien conçue. L’abbé de La Rue et Méon, ces derniers de l’ancienne école, et si estimables comme fouilleurs, ne pouvaient, je le crois, s’appeler des guides. Ce n’est que depuis peu que, les publications se multipliant à l’infini, et la grammaire en même temps s’étant déchiffrée, quelques esprits philosophiques ont jeté le regard dans cette étude, et y ont porté la vraie méthode. Tout cela a pris une tournure, une certaine suite, et on peut se faire