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REVUE DES DEUX MONDES.

— Bravissimo ! mon cher, me dit-il dès que nous fûmes seuls ; hier au soir et ce matin, vous m’aviez paru un peu adolescent, mais à présent je vous rends toute mon estime. Impossible de pêcher un mari à la ligne avec plus de grace et de dextérité.

— Vous en parlez fort à votre aise, lui répondis-je ; vous ne savez pas ce qu’il m’en coûte pour conduire la chose selon les règles de l’art. Si, comme moi, vous étiez condamné à tuer demain une quantité indéfinie de perdreaux…

— Il va à la chasse ? interrompit Maléchard avec une vivacité singulière.

— C’est-à-dire nous allons à la chasse. Il m’a proposé ce régal tellement à l’improviste, que je n’ai pas eu la présence d’esprit de trouver une défaite.

— Partez-vous de bonne heure ?

— Au point du jour.

— Au point du jour ! répéta mon ami, dont la figure devint radieuse sans que je songeasse à lui en demander la cause.

— Il n’est pas certain que je ne lui fausse pas compagnie, repris-je en hochant la tête : j’ai bien envie d’avoir la migraine demain matin.

— Perdez-vous l’esprit ? s’écria Maléchard du ton le plus chaleureux ; des perdreaux à tuer ! ne dirait-on pas que ce soit du poison à prendre ? Je vous conseille de vous plaindre ; moi qui vous parle, j’ai fait pendant six mois trois parties d’échecs par jour avec un époux de ma connaissance. Voilà ce qui s’appelle une corvée. Allons, vous êtes un enfant. Vous voulez donc réveiller sa défiance ? Si vous ne l’accompagnez pas à cette chasse, il est homme à n’y pas aller lui-même, et alors qu’aurez-vous gagné ?

De nouveau je fus forcé de reconnaître que mon ami avait raison, et je m’armai de patience pour la partie de plaisir du lendemain.

— Maintenant, mon cher, soyez franc, repris-je en abordant un sujet plus agréable ; vous avez causé fort long-temps avec Mme Baretty. Avez-vous parlé de moi ?

— De quoi aurions-nous parlé ? répondit en souriant Maléchard.

— Qu’a-t-elle dit ?

— Mille choses.

— Mais encore ?

— Vous savez qu’il est fort difficile de se rappeler exactement ce que disent les femmes, lorsqu’elles ont quelque intérêt à déguiser leur pensée. Elles emploient alors des expressions si fines, elles s’entourent de précautions oratoires si adroites, elles arrivent à leur