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ment. L’Espagne est faite pour déjouer toutes les prévisions et tromper toutes les attentes.

Trois partis la divisent, et, comme on l’a dit mille fois, aucun de ces partis ne paraît encore en état de prendre définitivement possession du pays. Le parti exalté est trop peu nombreux et trop opposé par ses tendances et par ses projets à l’esprit et aux opinions des masses. Il en est de même dans un autre sens du parti carliste. Le parti modéré est sans contredit le plus nombreux et celui dont les principes et les vues pourraient rallier la majorité des Espagnols. Malheureusement ce parti manque de cohésion, de dévouement, d’énergie. Il se subdivise en nuances rivales et qui se méfient les unes des autres. Il n’a rien fait encore d’important, et il paraît aussi fatigué, aussi las que s’il avait soutenu les luttes les plus acharnées et les plus longues.

En présence de ces faits, il est impossible de ne pas se livrer pour l’Espagne aux plus sinistres prévisions ; il est difficile de ne pas craindre pour elle le renouvellement de la guerre civile, et toutes les souffrances et toutes les horreurs qu’elle entraîne. Les partis énergiques sont des partis extrêmes, et par cela même peu nombreux. Le parti modéré, qui aurait pour lui les forces matérielles et morales du pays, n’a pas montré jusqu’ici la ferme volonté de les employer utilement. Il a succombé, parce qu’il n’a pas eu le courage de combattre ; il s’est débandé, parce qu’il n’a pas su s’organiser pour la résistance.

En sera-t-il autrement aujourd’hui ? Nous avons peine à le croire. Le pouvoir d’Espartero nous paraît ébranlé jusque dans ses fondemens : nous ne pensons pas qu’il puisse se raffermir et avoir une longue durée. Est-ce à dire que sur ses ruines puisse s’élever un pouvoir durable et sérieux ? L’Espagne peut voir recommencer une longue suite de troubles, une de ces guerres civiles dont nul ne peut dire d’avance les phases ni assigner le terme.

C’est là le principal argument qu’on fait valoir en faveur d’Espartero et de son gouvernement. L’Espagne, dit-on, était tranquille, elle avait retrouvé un peu de repos ; pourquoi le troubler ? À qui ce reproche s’adresse-t-il ? À notre gouvernement ? Encore une fois, rien ne prouve qu’il ait eu la moindre part dans les faits qui viennent de se passer en Espagne. Il ne cache sans doute pas, nous le croyons, ses sympathies pour le parti modéré, pour le parti qui ne peut avoir aucune pensée hostile envers la France. Ce serait pour notre gouvernement une insigne lâcheté que de témoigner de l’intérêt, de l’affection, pour le parti anglais qui domine en Espagne ; il doit à ce parti, si l’on veut, une stricte et froide neutralité, rien de moins à la bonne heure, mais surtout rien de plus. Et, nous le répétons, si un gouvernement étranger quelconque profitait des troubles de l’Espagne pour sortir des limites de la neutralité et y faire prévaloir une influence décidément contraire aux intérêts français, l’inaction de notre gouvernement nous paraîtrait alors une faiblesse, un véritable abandon de cette politique éminemment française qui remonte à Louis XIV.