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REVUE. — CHRONIQUE.

le parti exalté, il nous serait interdit à nous, France, de seconder le parti modéré !

Quoi qu’il en soit, notre gouvernement, fidèle à ses principes trop négatifs, a poussé la neutralité jusqu’au scrupule. Il n’a pas empêché l’infant don François de Paule de pénétrer en Espagne et de porter à Espartero le secours de son nom et de son titre monarchique, et, docile aux représentations de l’ambassadeur espagnol, il a donné l’ordre d’interner les légitimistes qui se trouvaient près de la frontière.

Quelle sera l’issue de la lutte du parti modéré, livré ainsi à lui-même, avec le parti exalté, soutenu par l’Angleterre ? Probablement Espartero triomphera de cette première attaque ; son pouvoir et son existence politique n’en seront pas moins ébranlés. La raison en est simple. L’appui d’Espartero en Espagne était l’armée : la révolte de plusieurs régimens lui ôte le seul prestige dont il était entouré ; aujourd’hui plus que jamais le régent n’est qu’un homme de parti ; il aura beau parler au nom de l’Espagne et de l’armée espagnole, personne n’ajoutera foi à ses paroles.

Les circonstances où il se trouve sont des plus difficiles. Les principes de l’insurrection ont pénétré jusque dans le régiment de Luchana. On assure qu’Espartero ne peut compter que sur un des bataillons de ce régiment.

Avec le caractère espagnol, une défaite n’est jamais décisive. Battus aujourd’hui, les insurgés recommenceront demain. Les supplices irritent et n’effraient personne. Le fameux no importa s’applique à tout. Souffrir pour un Espagnol n’est pas une raison de se tenir tranquille, mais bien de se préparer froidement à faire endurer à son ennemi des souffrances encore plus aiguës. Le dé est jeté : Espartero n’est plus qu’un chef dont on veut se débarrasser.

Connaissant la gravité de sa situation, Espartero doit s’irriter. D’ailleurs, les hommes naturellement faibles et qui ne deviennent actifs que par accès, sont ordinairement emportés et violens dans leurs ressentiments. On a répandu le bruit d’exécutions sanglantes et précipitées qui auraient eu lieu à Madrid. Le ciel nous préserve d’imputer à qui que ce soit des faits atroces sans preuves suffisantes. Nous espérons qu’Espartero n’a pas oublié que le caractère essentiel de tout gouvernement qui se prétend régulier, c’est la justice. Mais, disons-le, nous craignons qu’il ne se laisse emporter par le sentiment des périls dont il est entouré et par la violence de son parti.

On doit aussi s’attendre à le voir se jeter de plus en plus dans les bras du gouvernement anglais. Plus il sentira sa faiblesse au dedans, plus il cherchera force et protection au dehors. L’Angleterre saisira avec plus de cupidité que d’habileté cette bonne fortune, et le sentiment national de l’Espagne en sera profondément blessé.

Est-ce à dire que de l’ensemble de ces circonstances on puisse conclure la chute certaine d’Espartero, le triomphe prochain du parti modéré ? Nulle-