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en bonne intelligence avec Arguelles, et ne serait pas fâché de pouvoir, sous le nom de l’infant, s’emparer en réalité de la tutelle ; enfin, ne pouvant pas ignorer la répugnance qu’il inspire aux Espagnols attachés aux traditions monarchiques, il lui semble utile de s’allier à un prince du sang, et d’opposer le nom d’un infant à celui de la reine Christine.

Tous ceux qui connaissent (et qui ne la connaît pas aujourd’hui ?) l’histoire des émigrations et des partis politiques, n’ont dû éprouver aucun étonnement en apprenant qu’au milieu de ces circonstances et de ces intrigues, une nouvelle tentative de guerre civile a été faite en Espagne. Il fallait même un pays comme l’Espagne, il fallait ces habitudes de nonchalance et de lenteur qui distinguent nos voisins, pour qu’Espartero ait pu jouir paisiblement du pouvoir pendant une année tout entière. En France, un pouvoir comme le sien, n’ayant d’autre appui que la faveur d’un gouvernement étranger et quelques régimens, en supposant qu’il eût pu s’établir, n’aurait pas vécu trois mois.

On a dit, on dira encore, que ce mouvement doit être en grande partie attribué à notre gouvernement. Hélas ! il ne mérite ni cet éloge ni ce reproche. C’est le cas de dire : je n’en sais rien, mais j’en suis certain. Notre gouvernement ne cherche pas le mouvement ; il n’en produit nulle part, dans aucun sens. On le sait bien. Pour les uns, cette réserve est une preuve d’habileté ; pour les autres, elle n’est qu’une marque d’impuissance. Les uns vous disent que c’est ainsi qu’on laisse à l’ordre établi le temps de pousser des racines, et de grandir ; les autres répondent que la plante, se trouvant ainsi privée de toute nourriture, ne peut avoir ni sève ni racines. Laissons cette polémique désormais épuisée, fastidieuse, et exagérée dans l’un et dans l’autre sens. Toujours est-il qu’il faudrait les preuves les plus irrécusables pour croire que notre gouvernement est sorti de son rôle de spectateur à l’égard de l’Espagne.

Nous le disons sans détours, et plus volontiers encore aujourd’hui que, les évènemens de Madrid ayant tourné à l’avantage d’Espartero, nous n’avons pas l’air de venir au secours du vainqueur ; si notre gouvernement avait fait ce qu’il n’a pas fait, s’il avait en réalité contribué à renverser en Espagne un pouvoir qui est hostile à la France et tout dévoué à l’Angleterre, un pouvoir qui est, au vu et au su de tout le monde, sous la tutelle de l’ambassade anglaise, au lieu de lui en faire un reproche, peut-être oserions-nous l’en louer hautement. Nous concevons une parfaite inaction, une froide neutralité dans les débats intérieurs des nations voisines, lorsque tous les gouvernemens se renferment dans la même ligne et s’abstiennent de toute intervention matérielle ou morale. C’est là le droit, c’est là la justice. Mais lorsqu’un gouvernement de parti se livre à une influence étrangère, lorsque cette influence est visiblement contraire aux intérêts français, faut-il que la France aide par son adhésion morale ce gouvernement à s’établir, à se consolider ? et tandis que l’Angleterre seconde ouvertement en Espagne