Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/35

Cette page a été validée par deux contributeurs.
31
LE PARATONNERRE.

m’étais placé, les façons peu civiles de l’ancien capitaine de voltigeurs n’avaient pas plus d’importance morale que n’en a pour un écuyer la résistance du cheval qu’il veut dresser. Le mari ruait ; c’était là un obstacle à vaincre et non un affront à punir.

Malgré le peu de succès de mes premières avances, je persévérai dans la patiente amabilité que je m’étais imposée. Je redoublai d’enjouement et de bonhomie, je cherchai les sujets de conversation les plus opportuns, en un mot je manœuvrai si adroitement qu’à la fin, soit que j’eusse réussi à détruire ses soupçons, soit que, choisissant entre deux ennuis, il aimât mieux subir ma compagnie que de me voir papillonner autour de sa femme, M. Baretty s’humanisa. Une circonstance bien puérile et bien triviale m’annonça que nous passions de l’état d’hostilité sourde à celui de désarmement. Et pourquoi omettrais-je ce vulgaire, mais caractéristique incident ? Le calumet n’est-il pas chez les sauvages le symbole de la paix, et beaucoup de fumeurs civilisés ne trouvent-ils pas cet usage plein de poésie ? Or, d’une pipe à une tabatière, la distance est courte et la dérogeance petite. On a compris déjà que le mari jaloux prenait du tabac ; il finit par se décider à m’en offrir, et moi, au risque d’éternuer, j’acceptai pour deux raisons : la première, c’est que Mme Baretty ne me voyait pas ; la seconde, c’est que je me rappelai fort à propos la dissertation de Sganarelle sur le tabac considéré comme élément de concorde, d’harmonie et de sociabilité.

En rentrant au château, nous étions, le Corse et moi, de si bon accord, qu’il me proposa une partie de chasse pour le lendemain. Le moyen de refuser ? C’eût été chicaner le tigre prêt à s’endormir. J’accueillis donc ce projet d’un air ravi, mais en enrageant ; je détestais la chasse.

Aucun incident digne d’être mentionné ne signala le reste de la journée. Quelques regards, de mon côté seulement contenus par la prudence, furent encore échangés entre Mme Baretty et moi. Mais je ne trouvai aucune occasion de lui parler sans témoin, et je persistai dans mon système : — Avec les femmes, le silence plutôt qu’une conversation insignifiante.

Le soir, lorsque chacun se retira, ce fut Maléchard qui, à son tour, m’accompagna dans ma chambre. Pendant une grande partie de la promenade, il avait donné le bras à Mme Baretty, sans que le capitaine, dont la jalousie était évidemment concentrée sur moi, eût eu l’air de s’en occuper. Il me tardait de l’interroger, car, d’après sa promesse, j’avais dû faire le principal sujet de l’entretien.