Cela se devine. Des navires, établis à plus grands frais, ne peuvent supporter la concurrence de la navigation étrangère, et l’on retombe nécessairement dans le giron des petites entreprises, où le pavillon national trouve son abri. Ainsi la protection fiscale est occupée à guérir d’une main les blessures qu’elle a faites de l’autre. Il en est de même pour tout : aucun des matériaux nécessaires aux armemens maritimes n’échappe aux atteintes du tarif. Goudron, chanvre, suif, chaque article est assujetti à un droit qui en élève le prix. Les choses vont si loin, qu’on a calculé que deux navires construits à Trieste ne coûtaient pas plus cher qu’un seul navire, de même dimension, construit dans l’un de nos ports de l’Océan ou de la Méditerranée. Ce fait dit tout ; il explique à la fois et la langueur de notre marine marchande et l’élan qu’a pris celle des commerces rivaux.
Ainsi nous sommes en retraite, même avec les marines secondaires, et l’Adriatique gagne aussi du terrain sur nous. De nos 60,000 matelots, il faut en déduire 10,000 environ, et des meilleurs, que l’appât d’un salaire élevé et l’attrait d’une navigation plus active retiennent sous le pavillon étranger. C’est là un triste abaissement, un marasme déplorable. Comme remèdes partiels, on pourrait bien supprimer une portion des droits de douane qui pèsent sur les élémens de constructions navales, de manière à ce que nos bâtimens ne nous coûtent pas plus cher que les bâtimens suédois, hollandais ou autrichiens. Mais ce ne serait là qu’un premier pas dans une réforme qui a besoin, pour prouver sa fécondité, d’une application complète et d’une sanction générale. Les expédiens de détail ont toujours un tort, celui de ne soulager un mal qu’en déterminant ailleurs une souffrance, et de déplacer la plainte au lieu de l’apaiser. Il s’est fait depuis vingt-cinq ans de nombreuses tentatives dans cette direction, sans qu’aucune amélioration réelle s’en soit suivie. Substituer un équilibre artificiel à l’équilibre naturel des intérêts, c’est vouloir gouverner la mer à l’aide d’écluses. Dans le travail humain comme dans celui de la nature, il existe des lois éternelles contre lesquelles les erreurs des hommes ne prévalent jamais : le génie de ceux qui gouvernent est de deviner ces lois et de leur obéir, au lieu de les combattre.
La plus grande partie des hommes qui sont appelés à régir la fortune de la France ne comprennent guère que l’activité agricole : ils tiennent au sol, et l’on dirait qu’ils en ont l’immobilité. Cependant un peuple ne saurait être enchaîné ainsi dans ses facultés les plus énergiques, languir faute d’essor, et cesser de se tenir au niveau du mouvement extérieur. Poussée à ses dernières conséquences, cette