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LA FLOTTE FRANÇAISE.

sent d’une manière absolue ; ils semblent céder en se défendant et retenir tout en ayant l’air d’accorder. Ce faux système se résout en impuissance, et les chiffres de notre mouvement maritime l’attestent suffisamment. Pendant qu’en un demi-siècle les autres marines manifestaient leur vitalité par des développemens inouis, la marine marchande de la France en restait toujours à peu près au même point. En 1789, avant les désastres que les guerres acharnées de la république et de l’empire firent peser sur notre commerce, nos divers ports réunis présentaient une navigation d’environ 500,000 tonneaux, et aujourd’hui, à cinquante-deux ans d’intervalle, ce chiffre s’est à peine élevé à 680,000 tonneaux. Depuis quinze ans, une immobilité inquiétante semble avoir marqué le terme de cet essor ; il y a même eu, jusqu’à un certain point, déchéance. Ainsi, en 1835, notre effectif se composait de 15,599 navires jaugeant 680,631 tonneaux, et l’année dernière, on n’a plus compté que 14,800 navires ; c’est le chiffre de 1829. Si l’on décompose les élémens de cet effectif, les choses se présentent sous un aspect plus affligeant encore. Sur ces 15,000 navires, on en trouve 10,600 au-dessous de 30 tonneaux, et 3,000 entre 30 et 100 tonneaux. Qu’on juge de ce qu’il reste en bâtimens de quelque importance.

C’est là une situation qui appelle de prompts remèdes. Dominé par des idées de protection, notre gouvernement a cru trouver un palliatif efficace dans les primes qu’il alloue aux pêches lointaines ; mais ce ne sont là, les faits le témoignent, que de vains expédiens. Le principal obstacle au progrès de la marine marchande de la France, c’est qu’elle s’exerce sur une navigation exclusive, celle de nos colonies. Cantonnée dans ce privilége, elle manque d’audace pour engager de front une lutte avec les marines étrangères, et se contente des bénéfices qu’elle glane sur ce terrain réservé. Cette erreur de système provient surtout du culte aveugle de la tradition. Dans le cours du XVIIIe siècle, nos possessions coloniales formaient un riche lot de notre empire : la plus belle des Antilles nous appartenait ; le Canada et la Louisiane relevaient des lois françaises, et un instant, grace à Dupleix, nous eûmes un véritable royaume dans les Indes. Avec ces dépendances lointaines, une navigation réservée pouvait se fonder utilement et suffire à l’essor de notre activité maritime. Saint-Domingue seule pourvoyait au commerce le plus étendu. Il y avait quelque bénéfice à recueillir à l’ombre de ce privilége. Mais, à la paix de 1815, quand il fut bien constaté que la guerre ou la révolte nous avaient dépossédé de ces opulentes annexes, quand