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du pays voisin, il reste à l’examiner du seul point de vue national et dans ses rapports avec une administration prudente de la fortune publique. De politique qu’il était, le débat devient alors financier, et, quoiqu’à un degré plus secondaire, tout aussi digne d’attention. Le problème a déjà été posé, et il est des plus simples. Nos ressources nous permettent-elles d’entretenir à la fois une armée considérable et une imposante marine, de prétendre à une double influence continentale et navale ? N’est-ce pas là un trop grand effort pour notre budget ? N’y a-t-il pas à s’alarmer de ces bilans en déficit qui se succèdent depuis quelques sessions ? Voilà les craintes que fait naître la perspective du maintien de nos armemens, et le sentiment qui les inspire est, dans une certaine mesure, respectable. L’amour des situations régulières tient une place parmi les devoirs de l’homme politique, et le bon ordre des finances importe à la richesse du pays, au crédit public, à la sécurité générale. Loin de nous la pensée de méconnaître un pareil intérêt : il est essentiel, il mérite qu’on le pèse ; mais autant il y aurait de légèreté à l’abandonner, autant il y aurait de péril à lui sacrifier des intérêts plus graves. Les pertes d’argent se réparent, les pertes d’honneur ne se réparent pas. En plus d’une occasion, des économies mal faites furent l’origine de sacrifices ruineux. C’est là surtout que le détail ne doit pas emporter l’ensemble, et qu’il faut savoir subir un petit mal pour préparer un plus grand bien.

Les dépenses que peut occasionner le maintien de notre état naval ne sont pas, du reste, aussi considérables qu’on se le figure. Pendant quelques années encore, on aura à porter la peine des négligences antérieures, et à essuyer les sacrifices qui s’attachent à toute création. Mais, quand une fois les bases du nouveau système seront solidement assises, quand la permanence de l’armement aura toutes ses racines, quand les arsenaux renfermeront le matériel fixé par les ordonnances, quand les améliorations partielles auront été réalisées, l’entretien de cet ensemble ne sera plus qu’une charge légère pour le pays, et la dotation de la marine sera ramenée sans effort à des termes très raisonnables. Peut-être s’apercevra-t-on alors que le système énervant des intermittences était, au fond, plus dispendieux qu’un effort constant et soutenu. Les dépenses faites à propos sont surtout essentielles pour un matériel qui tend à dépérir ; il est une foule d’objets qu’un usage modéré conserve et que l’inaction ruine. On ne se fait pas d’ailleurs une idée exacte de ce que coûtent les bâtimens de guerre, et de l’économie qui résulterait de leur désarmement. Quelques chiffres éclairciront ce point, et donneront la mesure des