Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/338

Cette page a été validée par deux contributeurs.
334
REVUE DES DEUX MONDES.

dotation de notre marine n’a pas dépassé en moyenne soixante-cinq millions, somme insuffisante pour la faire vivre, mais qui a du moins servi à l’empêcher de périr. À ce point de vue, aucun régime n’a moins fait que le nôtre pour la marine, si ce n’est celui de Dubois. Pendant la guerre de l’indépendance américaine, la France consacra à l’entretien et à l’augmentation de ses flottes 200 millions par an ; la république française y employa 140 millions, le consulat 92, l’empire 127. L’empire et le consulat, qui souscrivaient à de tels sacrifices, avaient pourtant désespéré de la marine. Nous sommes moins prodigues de moitié, nous qui avons repris confiance en elle.

Voilà, sans exagération comme sans déguisement, les deux situations. Si l’une des parties a le droit de réclamer contre un défaut d’équilibre, ce n’est évidemment pas celle qui a fait entendre les premières plaintes. Il y a mieux : tout en nous proposant un désarmement, l’Angleterre n’est pas certaine de pouvoir l’opérer de son côté. N’accusons pas les intentions : les reproches de perfidie ont été trop long-temps échangés entre les peuples, et souvent on a fait peser sur les hommes les torts des situations. L’Angleterre est sur la pente d’une prospérité pour ainsi dire fatale ; le succès, auquel elle a tant sacrifié, est une divinité implacable ; on ne l’apaise qu’à force de victimes. La vie intérieure de la Grande-Bretagne s’est arrangée à l’unisson de ses agrandissemens extérieurs, et avec la rapidité du mouvement qui emporte ce peuple, toute halte serait un choc mortel. Dans cette vaste usine, que tourmente la fièvre d’une production sans cesse accrue, chaque débouché qui se ferme au dehors provoque une douleur, détermine une souffrance. L’industrie anglaise est inquiète quand on ne lui donne pas sa proie, elle cherche alors de nouveaux pays à dévorer. Un triste jour sera celui où, le dehors lui manquant, elle regardera autour d’elle. Jusqu’ici on a eu constamment quelque chose à offrir à cette avidité croissante, tantôt les Indes, tantôt le Canada, l’Australie ou le cap de Bonne-Espérance, un jour le bassin entier de l’Indus, le lendemain la Chine, sans compter les priviléges de pavillon, et des avantages commerciaux sur tous les

    d’entretenir une escadre dans les mers du Levant. Cette année-là, le chiffre est de 79,015,000 ; l’année suivante, de 74,015,000.

    On peut voir par ce tableau que l’allocation pour les dépenses de la marine a été plus élevée sous la restauration que sous le régime de juillet. La moyenne de 1822 à 1831 est de 69,500,000 francs, celle de 1832 à 1841 n’est que de 66,110,000 francs. Cette diminution, il faut le remarquer, a eu lieu dans une période où la dotation de tous les autres services s’est accrue.