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dront ranger leur pavillon à l’ombre du nôtre, jalouses de venger enfin ces avanies de détail qu’on ne leur a jamais épargnées, et de fonder, à l’aide d’une association, ce respect des faibles, qu’elles n’ont jamais pu faire prévaloir dans leur isolement. Une semblable coalition pourrait embrasser l’Europe et l’Amérique, afin qu’une fois au moins dans les siècles il fût décidé si la mer est l’apanage exclusif d’une nation ou la propriété de toutes.

Cette ressource défensive ne serait pas la seule ; notre pays en aurait d’autres sous la main. Une arme nouvelle, la vapeur, semble destinée à faire désormais une diversion puissante dans les guerres navales. Quoique son emploi ne soit encore ni bien défini ni bien déterminé, on pressent que les priviléges de topographie s’amoindriront devant elle, et qu’elle peut devenir, jusqu’à un certain point, un pont jeté entre les terres que la mer sépare. Un pays exposé à une surprise continentale cesse d’être dès-lors aussi fier de son inviolabilité ; il lui faut une armée de terre pour se défendre ; il est astreint à une double dépense et à un double effort. Plus vulnérable, il devient moins accessible aux inspirations de l’orgueil ou de l’intérêt ; il ne force pas son ennemi jusque dans son honneur, car il sait que des représailles pourraient l’atteindre jusque dans son existence.

Dieu merci, personne n’en est là aujourd’hui. Nous vivons dans une époque de tempéramens, de concessions mutuelles, et on ne place aucun peuple dans la nécessité de vaincre ou de périr. Sans doute l’Angleterre a plus d’une fois, dans le cours des siècles, abusé de ses succès et écrasé ce qui faisait obstacle à son ambition. Vis-à-vis de la France, sa politique n’a pas toujours été juste ni loyale ; une jalousie profonde semblait surtout l’animer. Ainsi, tant que nos ports militaires étaient déserts, nos ports marchands inactifs, l’Angleterre nous abandonnait à nos destinées et nous honorait d’une majestueuse indifférence. Mais notre commerce se réveillait-il, nos armemens reprenaient-ils quelque vigueur, à l’instant même la susceptibilité renaissait, et avec elle l’aigreur et les mauvais procédés. Alors tout devenait prétexte à une rupture. La guerre commençait par une brusque confiscation de nos bâtimens marchands et se terminait par une coalition continentale. Par trois fois les hostilités se sont reproduites avec ce même caractère et les mêmes circonstances : la première fois, sous Louis XIV, à la rupture de la paix de Nimègue ; la seconde, sous Louis XV, à l’origine de la guerre dite de Sept-Ans ; la troisième, sous le consulat, quand la paix d’Amiens fut inopinément violée. Trois coalitions, la ligue d’Augsbourg, la guerre avec le grand Fré-