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LA FLOTTE FRANÇAISE.

cette formidable besogne. Rien de plus émouvant que les grandes scènes du combat maritime simulées par cette armée flottante, depuis l’épisode du branle-bas jusqu’à celui de l’abordage. Quel ordre et quelle précision ! On croirait que chaque vaisseau prend une ame dans laquelle toutes les volontés viennent se confondre. À un signal, les vergues se peuplent ; à un autre signal, elles se dégarnissent. On ne saurait dire d’où sort cette nuée d’hommes qui paraît et se dissipe avec la rapidité d’une vision. Mille matelots se croisent sur le pont, dans les airs, au sein des batteries, sans s’embarrasser, sans se heurter, sans se nuire ; et quand la voix du commandant les lance sur un vaisseau ennemi, on est effrayé de voir par quels chemins ces démons ailés arrivent jusqu’à leur proie.

L’esprit qui a présidé à l’organisation de cette flotte est, comme on l’a dit, tout nouveau parmi nous. Les brillans exploits de l’amiral Roussin dans le Tage, et du vice-amiral Baudin au Mexique, ont préparé les voies à cette renaissance, et les évènemens récens l’ont sanctionnée. C’est le produit d’efforts nombreux et de circonstances diverses. Avant 1839, MM. Lalande et La Susse, à la tête de quelques vaisseaux, parcouraient déjà la Méditerranée : ils allaient prévenir dans la baie de Tunis les entreprises de la Porte contre cette régence, ou paraissaient devant Naples, comme autrefois La Touche-Préville, pour y demander compte, sous les canons du château de l’Œuf, des restrictions onéreuses que l’on y imposait à notre commerce et à nos paquebots d’Orient. Mais nos forces navales étaient alors bien peu considérables. En fait de vaisseaux de ligne, on n’avait que le Suffren et le Triton, dont l’installation remonte à 1837, et l’Hercule, prêt en 1838. Les premiers ordres donnés pour un armement sérieux datant de la fin de 1838 ; et dans le cours de 1839 dix vaisseaux prirent la mer : en janvier le Jupiter et l’Iéna, en mai le Trident et le Généreux, en juin le Diadème et le Santi-Petri, en août le Neptune et le Montebello, en septembre l’Alger, en octobre l’Océan. Au 11 janvier 1840, treize vaisseaux étaient en activité de service, quatre en disponibilité, le Souverain, le Marengo, la Ville de Marseille, le Scipion. Dans les huit mois qui suivirent, on compléta la flotte telle que nous la voyons aujourd’hui, en achevant l’équipement des vaisseaux placés en commission de port et en y ajoutant les trois beaux vaisseaux neufs, l’Inflexible, le Jemmapes et le Friedland. Tel a été le mouvement matériel et successif de l’armement actuel ; il est facile d’en dégager la part qui revient à chaque ministère. L’initiative de l’envoi d’une flotte dans les mers du Levant appartient au 15 avril, qui y expédia