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dû perdre. Quand l’empire croula, nos blessures étaient profondes. Quinze années de blocus avaient pour ainsi dire aboli la navigation marchande, et les registres de l’inscription maritime, sur lesquels figurent tous les matelots disponibles, comptaient à peine quelques milliers de noms. La renaissance du commerce, les armemens auxquels il se livra, l’essor du cabotage, remplirent peu à peu les vides occasionnés par la guerre, et c’est ainsi que l’on put arriver au chiffre de soixante mille marins valides qui forment aujourd’hui le noyau de nos flottes. En même temps les cadres de nos officiers se renouvelaient, se rajeunissaient. L’esprit de corps se réveillait dans leurs rangs, et des études plus fortes ajoutaient un nouveau prix à leurs services. Le matériel s’améliorait aussi, quoique plus lentement. L’empire avait laissé un assez grand nombre de vaisseaux, mais ces vaisseaux, construits en régie, dépérirent presque tous sans faire aucun service. Au lieu de les réparer, on se contenta d’abord, faute de ressources suffisantes, d’entreprendre des constructions plus légères, telles que des bricks et des corvettes. Ce fut une faute : on le sentit bientôt, et après quelques essais malheureux on renonça aux navires de flottille pour songer sérieusement aux vaisseaux de ligne et aux frégates, qui seuls forment la base d’une marine. L’armement et l’équipement firent des progrès rapides, et, vanité nationale à part, on peut dire qu’aujourd’hui personne ne marche avant nous pour l’installation des bâtimens de guerre. À aucune époque, les améliorations de détail ne furent poursuivies avec plus de patience, ni introduites avec plus de sagacité[1].

À mesure que la marine se frayait ainsi de nouvelles voies, il s’opérait dans les esprits une réaction en sa faveur. La France n’est pas, comme l’Angleterre, une sorte de vaisseau flottant dont la mer est le seul appui. Nous tenons au continent par une longue étendue de frontières, et le Rhin nous inquiète plus que la Manche. Les souvenirs les plus vifs des générations actuelles inclinent de ce côté. Le

  1. Parmi les perfectionnemens introduits dans l’armement et l’installation des vaisseaux, il faut placer en première ligne l’usage des percuteurs, pour les bouches à feu, qui donnent une énergie au moins double à chaque pièce. Les câbles en fer, les caisses à eau, les caisses à poudre, sont aussi des améliorations précieuses. Il faut citer, en outre, les cabestans de MM. Barbotin et Lavergne, les expériences de MM. Janvier et Béchameil pour les bateaux à vapeur, les crémaillères à ridage, les linguets de sûreté pour les câbles, les appareils distillatoires et les fours de MM. Sochet et Pironneau, le système de ridage de M. Campaignac, les projectiles de MM. Jure et Billette, les stoppeurs de MM. Legoff et Joffe, etc.