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LE DOCTEUR HERBEAU.

Et comme Mme Riquemont réfléchissait et ne répondait pas :

— Louise, jusqu’à ce jour je ne vous ai rien demandé, dit Aristide d’un ton de reproche.

— Mon Dieu ! rien de plus simple, dit enfin Mme Riquemont, tout étonnée d’avoir pu hésiter un instant à satisfaire la fantaisie de cet excellent homme ; si ma santé me le permet, j’irai, jeudi prochain, dans l’après-midi, visiter mes pauvres de Saint-Herblain. Venez à la métairie entre quatre et cinq heures ; j’y serai.

— Jeudi prochain, de quatre à cinq heures, à la métairie de Saint-Herblain ? répéta le docteur d’un air mystérieux.

— Est-ce entendu ? dit Louise.

— C’est entendu, répondit le docteur Herbeau.

Un sourire indéfinissable passa sur ses lèvres, et l’ame de don Juan rayonna un instant sur ce pacifique visage.

VI.

Le soir du même jour, M. Riquemont entra dans la chambre de sa femme. Il s’étendit, comme de coutume, sur un canapé, et, après avoir parlé de choses et d’autres, des chevaux qu’il avait vendus à la foire de Pouligny, des fureurs du dernier orage, de ses bœufs écrasés, de sa ferme écroulée, de ses moissons détruites :

— À propos, Louison, dit-il avec un air d’indifférence, que penses-tu de ce nouveau docteur ?

— Ce que je pense du nouveau docteur ? répondit Louise troublée par cette question inattendue, qui semblait s’adresser aux secrètes préoccupations de son cœur ; je n’en pense absolument rien.

— Allons donc, ma chère ! tu plaisantes, s’écria M. Riquemont ; si je te demandais ton avis sur la valeur d’un pré, ou sur le prix d’une bête à cornes, à la bonne heure ! mais pardieu ! il s’agit bien ici d’autre chose ! Je te demande, Louison, ce que tu penses du nouveau docteur ?

— Quelle étrange insistance ! dit-elle en rougissant, car dans son innocence alarmée elle craignait déjà de se trouver coupable ; que répondriez-vous, si je demandais ce que vous en pensez vous-même ?

— Je répondrais, ma chère, que M. Savenay est fort de mon goût, que c’est un garçon d’un rare mérite, un jeune homme simple et modeste, et que je le préfère certainement à ton Aristide, qui n’est qu’un vieux sot.

— Mon ami, dit Louise, vous êtes sans pitié pour ce pauvre doc-