corps, nous nous frapperions la poitrine à coups de poing, nous nous couvririons la tête de cendres, que tout cela ne changerait rien à l’affaire. D’ailleurs, ce pauvre garçon, je ne le connaissais pas, moi. C’est vous qui me l’avez amené.
— Je ne le connaissais pas davantage, reprit le docteur Herbeau ; je l’ai vu chez vous pour la première et dernière fois.
— Vous était-il ami ?
— Pas le moins du monde.
— Parent ?
— À Dieu ne plaise !
— Eh bien donc ! pourquoi se désoler ? et si nous pleurons les indifférens, que ferons-nous pour nos morts ? Je vous l’ai dit, vous avez la chance, et le ciel vous protége. Et puis, voyons, sérieusement, est-ce pour la science une si grande perte ?
— Je n’ai vu qu’une fois ce jeune homme, dit le docteur, et je n’oserais décider…
— Osez, monsieur, osez : indulgence pour les vivans, mais justice aux morts. Il me faisait l’effet, à moi, de mieux s’entendre à la culture des melons qu’à la guérison des malades, et de vider plus volontiers un verre de vin de Bordeaux qu’une question scientifique.
— Il faut bien avouer que sa conversation était quelque peu frivole.
— L’avez-vous observé pendant la consultation ? Je suis obligé d’en convenir, vous l’avez roulé, papa.
— Entre nous, dit Aristide en souriant, je crois qu’il n’était pas très fort.
— Je crois, moi, que c’était une ganache, dit M. Riquemont en enfonçant résolument ses mains dans ses poches.
— Vous pourriez bien ne pas vous tromper, s’écria le docteur en riant.
— C’eût été un fléau pour le pays.
— Il aurait fait beaucoup de mal.
— Et savez-vous, docteur, qu’il était plein de morgue et d’insolence ? Vous n’ignorez pas comment je l’ai reçu, quelles avances je lui ai faites. Le drôle est mort sans nous avoir rendu sa visite de digestion !
— À vrai dire, c’était un jeune homme assez mal élevé. Peu de tenue, point de manières, un laisser-aller incroyable !
— Un beau-fils !
— Un faiseur d’embarras !