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LE DOCTEUR HERBEAU.

L’orage éclata bientôt dans toute sa furie. Les deux nuées s’étaient heurtées et confondues, on eût dit une mêlée de combattans. Les éclairs se succédaient sans intermittence, et les coups de foudre se répondaient de tous les points de l’horizon. C’était un orage sec, ceux-là sont les plus redoutables : images des grandes douleurs qui ne pleurent pas. Les nuages de bronze et de cuivre ne versaient pas une goutte de pluie à la terre altérée ; seulement il s’en échappait par intervalles de rares grêlons qui frappaient, brisaient et bondissaient comme des balles.

Louise éperdue priait. Tout à coup un cheval effaré déboucha sur la terrasse du château, et, au bout de quelques instans, Mme Riquemont vit entrer M. Savenay, pâle, défait, couvert d’écume. Ses gants étaient en lambeaux et ses mains ensanglantées. Parti, le matin, de Saint-Léonard, avec l’espoir de trouver dans la campagne un peu d’air et de fraîcheur ou d’échapper par le mouvement aux influences de l’atmosphère, il avait été surpris par l’orage aux alentours de Riquemont, et il venait demander au château une hospitalité de quelques heures. À cette brusque apparition, le trouble de Louise redoubla ; mais, remarquant presque aussitôt la pâleur du jeune homme, ses vêtemens en désordre et ses mains tachées de sang :

— Vous êtes blessé ? s’écria-t-elle.

M. Savenay raconta en quelques mots que son cheval, effrayé, s’étant jeté à travers champs, ç’avait été, pour gagner Riquemont, une véritable course au clocher.

— Mais vous-même, madame, vous êtes émue et tremblante ? Louise confessa ingénument qu’elle avait peur de l’orage ; le jeune homme, assis auprès d’elle, l’écoutait avec bonté et la rassurait en souriant. Il essaya de lui faire comprendre la grandeur et la magnificence du spectacle qu’offraient en cet instant tous les élémens déchaînés. M. Riquemont avait parlé en agronome, M. Savenay s’exprimait en poète ; Louise sentit, en l’écoutant, son effroi se changer en un sentiment exalté de religieuse admiration. D’ailleurs, la voix de Savenay couvrait celle de la tempête, et déjà ce n’était plus l’orage qui la troublait ainsi, cette enfant.

Cependant la nuée creva, et, comme l’avait prévu M. Riquemont, il y eut une décharge de grêle, telle que les naturels ne se rappellent pas avoir jamais vu rien de pareil en ces contrées. Ce fut une averse de cailloux blancs et drus qui tomba, durant près d’un quart d’heure, avec une fureur inouie.

Louise contemplait ce grand désastre avec une émotion doulou-