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LE DOCTEUR HERBEAU.

reconnaître dans le sentier l’empreinte du sabot de Colette. Pour s’en assurer, il interrogea une gardeuse de dindons qui filait sa quenouille de chanvre sur le revers d’un fossé, tandis que son troupeau gloussant picorait aux alentours. La gardeuse répondit qu’en effet elle avait vu passer dans la matinée monsieur le médecin revenant du château ; elle ajouta même que, sauf respect, elle lui avait demandé un remède pour un de ses oiseaux malade.

De retour au logis, M. Riquemont entra chez sa femme, et attendit vainement qu’elle lui fît part de la visite du docteur Herbeau. Soit qu’elle craignît d’irriter l’humeur de son mari, soit plutôt indifférence de la chose et paresse de raconter un fait sans importance qu’elle n’imaginait pas intéresser en rien M. Riquemont, Louise garda là-dessus le silence le plus absolu. Le châtelain imita la réserve de Louise, et se retira sans avoir fait la moindre allusion à la visite du docteur ; mais son visage était sombre, et l’on eût pu voir ses sourcils, épais et touffus comme la queue d’un blaireau, relevés en panaches menaçans sur son front.

Ce même soir, le ciel, qui avait été serein durant tout le jour, se chargea au couchant de nuages épais et immobiles, au milieu desquels le soleil s’abîma comme dans un sanglant linceul. La journée, d’ailleurs, avait été brûlante. La nuit fut plus lourde et plus accablante encore. Louise la passa tout entière à sa croisée ouverte. De vifs éclairs partaient du banc de nuages qui pesaient sur l’horizon comme une chaîne de montagnes ; mais la foudre était muette, pas un bruit ne troublait le silence de l’air. La nature semblait affaissée sous le poids de l’atmosphère. Tout souffrait : les fleurs étaient penchées sur leur tige, les plantes se crispaient, les feuilles flétries pendaient languissamment aux branches. Au lieu de rosée, le ciel versait du feu à la terre.

Louise veillait sous ces orageuses influences. Un invincible malaise l’agitait ; une anxiété non encore éprouvée l’oppressait. Elle se jeta sur son lit à plusieurs reprises sans pouvoir y trouver un instant de repos. Elle appuya, sans pouvoir le rafraîchir, son front sur le marbre de la cheminée. Elle pleura, et son cœur ne fut pas soulagé. Le retour de la lumière, au lieu de les calmer, ne fit que redoubler ces angoisses.

Le soleil se leva sans rayons, dans une vapeur embrasée, comme un disque de fer sortant rouge de la fournaise. Presque aussitôt ces lourdes vapeurs se changèrent en une épaisse nuée, pareille à celle qui, depuis la veille, se tenait immobile au couchant. Soudain l’air