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— Le pouvais-je ? répondit Louise avec un triste sourire ; mes forces sont épuisées, je ne saurais me soutenir jusqu’à la grille du parc. Je voudrais bien pourtant, ajouta-t-elle, ne pas mourir sans avoir visité votre maison, les fleurs de votre jardin, et ce kiosque merveilleux dont vous m’avez tant de fois parlé.

— Quelle folie ! dit Aristide, que de pareilles fantaisies ne charmaient pas le moins du monde, et qui, tremblant de voir arriver M. Riquemont, se pencha vers Louise pour la baiser au front en signe de dernier adieu.

Par un gentil mouvement de tête, Louise esquiva le baiser, et, retenant toujours le docteur par la main :

— Vous êtes bien pressé, dit-elle d’un ton de doux reproche.

Il était sur des charbons ardens, et cherchait des yeux quelque armoire dans laquelle il put se blottir au besoin.

— Ne partez pas encore, poursuivit l’impitoyable enfant, qui, ne comprenant rien aux angoisses du docteur, ne voulut point le renvoyer sans l’avoir cajolé de son mieux en expiation de la veille. Je veux vous dire un rêve que je caresse depuis long-temps avec amour. Si Dieu et vous me rendez la santé…

— Nous vous la rendrons, Louise, affirma M. Herbeau avec assurance.

— Eh bien ! quand vous me l’aurez rendue, le premier usage que je me suis promis d’en faire sera de m’échapper de Riquemont, et d’aller, par une belle matinée, vous surprendre à Saint-Léonard. Vous me recevrez dans votre kiosque, nous visiterons ensemble tout votre petit domaine. Je le veux ; ne le voulez-vous pas ? Quelle joie pour moi, docteur, et pour vous aussi, quelle joie de me voir courir sur le sable de votre jardin ! car c’est à vous, ami, que je devrai la vie, la santé, la jeunesse.

Ces paroles comblèrent Aristide de bonheur et d’effroi, et il s’éloigna ivre d’orgueil, mais aussi d’épouvante, en songeant à quels égaremens l’exaltation de la passion pouvait pousser cette jeune tête. Heureusement l’état de Louise lui promettait encore de longs loisirs. Un fois en selle, il aiguillonna Colette de l’éperon, du geste et de la voix, et se hâta de gagner la route de Savigny, craignant de voir M. Riquemont surgir à chaque détour de haie. Lorsqu’il eut perdu de vue les tourelles du château et qu’il se vit hors des champs de l’ogre, le docteur respira plus à l’aise, et, ralentissant le pas de sa monture, se prit à déguster en vrai gourmet les délices dont son ame était pleine.

Le soir du même jour, M. Riquemont, en rentrant au gîte, crut