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LE DOCTEUR HERBEAU.

l’allée du parc, qu’elle eût voulu pouvoir le rappeler ; elle pria même son mari de faire courir après Colette, mais le rustre s’y refusa, disant que c’était bonne justice, et que Louison aurait dû, dans l’intérêt de sa santé, en agir plus tôt de la sorte. Il partit de là pour se répandre en invectives contre le docteur. Louise ne souffla pas un mot ; mais le soir, retirée dans sa chambre, elle ne voulut pas s’endormir sur le mal qu’elle avait fait. Elle écrivit à son vieil Herbeau une adorable petite lettre qu’il reçut le soir même par un garçon du village venu tout exprès à la ville. C’était une de ces lettres dont les femmes ont seules le secret. Mme Riquemont avait retrouvé pour l’écrire toutes les graces de son esprit, toutes les coquetteries de son cœur. Aristide baisa le précieux billet à plusieurs reprises. Le lendemain, bien que ce ne fût pas son jour de visite au château, il ne put s’empêcher, en se rendant à Savigny, de faire une pointe à Riquemont. Louise était seule ; l’entrevue fut courte, mais touchante. Aussitôt qu’elle aperçut Aristide, la jeune femme lui tendit la main et s’excusa avec de douces larmes.

— Pardonnez-moi, lui dit-elle ; ami bien cher, pardonnez à cette enfant qui vous aime. J’ai mes mauvais jours, depuis quelque temps surtout. J’ignore ce qui se passe en moi. Vous qui savez tout, ne pourriez-vous me l’expliquer ? Autrefois je n’étais pas ainsi. Voyez, voilà que j’afflige ce que j’ai de meilleur au monde. Oh ! vous ne m’en voulez pas, docteur ! J’étais folle, je ne sais pas ce que j’avais.

Son regard était suppliant, sa voix caressante, et ses paroles tombaient comme une rosée bienfaisante sur le cœur ému du docteur. Toutefois le brave homme n’était pas à l’aise, et la crainte d’être surpris par M. Riquemont dans un amoureux tête-à-tête gênait cruellement les transports de sa joie. Il écoutait Louise d’un air distrait ; les bruits du dehors le faisaient pâlir et frissonner ; il lui semblait voir à chaque instant la figure du terrible châtelain apparaître railleuse et menaçante à la fenêtre. Aussi s’empressa-t-il de couper court lui-même aux séductions de cette heure enivrante.

— Il faut que je m’arrache de vos bras, s’écria-t-il en portant galamment à ses lèvres le bout des doigts de la jeune malade.

Comme il allait se retirer :

— Croyez, lui dit-elle en le retenant par la main et en tournant vers lui ses beaux yeux bleus encore tout humides, croyez bien que si je l’avais pu, je serais allée chercher moi-même à Saint-Léonard le pardon que vous m’avez si généreusement apporté.

— Quelle imprudence ! s’écria le docteur. Malheureuse enfant, c’eût été vous perdre.