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posées de telle sorte que chaque coin recèle un écho, et que les sons les plus faibles et les plus étouffés se répètent distinctement dans tous les angles. Les petites villes semblent construites d’après ce système. Rien ne s’y dit ici, qu’on ne le redise aussitôt là bas ; rien ne se fait là bas qu’on ne le sache aussitôt ici. Bien mieux : commencez une phrase dans le faubourg du sud, on l’achève, avant vous, dans le faubourg du nord. Il faut que l’atmosphère qui enveloppe les petites villes soit peuplée d’oreilles, d’yeux et de langues invisibles qui voltigent çà et là, les langues racontant ce qu’ont vu les yeux et ce qu’ont entendu les oreilles.

La visite de M. Riquemont au jeune docteur éclata donc, comme une bombe, à Saint-Léonard. Toute la ville se leva en émoi ; des groupes se formèrent sur la place et sur les boulevarts ; on s’abordait, on s’interrogeait, comme il arrive dans les grandes joies ou dans les grandes calamités publiques. Quoi de nouveau ? Pourquoi la foule s’épand-elle à grands flots des maisons dans les rues, des rues dans le forum ? Pourquoi cette mer agitée autour des rostres et des temples ? C’est que M. Riquemont déjeune chez M. Savenay. — M. Riquemont ! chez le nouveau docteur ! — Est-il vrai ? La chose est-elle possible ? — Mieux que cela. M. Riquemont est venu tout exprès pour quérir M. Savenay et retourner avec lui au château. — Le nouveau docteur au château ! — Comme vous dites. — Tenez, les voilà qui sortent ensemble, M. Riquemont appuyé familièrement sur l’épaule de son ami. — Ils fument des cigares de la Havane. — Le châtelain insiste pour emmener son hôte ; mais le jeune homme s’en défend. — M. Riquemont va partir ; son cheval est là, tout bridé ; un pied dans l’étrier, il serre par trois fois la main de M. Savenay. — Voyez, quels tendres adieux ! — Écoutez, que de paroles affectueuses ! — Il s’éloigne ; mais, au bout de la rue, il se retourne pour saluer une fois encore le jeune docteur, et lui crier que son couvert sera toujours mis au château. — Cependant Mme Herbeau est à sa fenêtre, guettant le passage de M. Riquemont. Jamais M. Riquemont n’est venu à Saint-Léonard sans faire une halte à la maison du bon Aristide. Adélaïde a tout préparé pour le recevoir, les plus beaux fruits de son verger, un pot de bière fraîche, un flacon de vieux rhum. Mais, vain espoir ! Riquemont file comme une flèche, et ne laisse derrière lui que la fumée de son cigare.

— Eh quoi ! s’écria Saint-Léonard, sont-ce là les avantages remportés par le docteur Herbeau ! la faveur dont il jouit au château de Riquemont ! les fruits du triomphe de la veille ! Qu’est-ce à dire ? À