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LE DOCTEUR HERBEAU.

geur et ses yeux se mouillaient de larmes. Puis, en comparant l’attitude qu’il avait eue vis-à-vis d’elle et celle qu’il avait gardée vis-à-vis de M. Riquemont, ne semblait-il pas que M. Savenay s’était joué de son mari, et qu’en l’accueillant de nouveau, elle allait devenir son complice ? Sa conscience s’alarmait. Elle s’écriait dans son cœur que cela n’était pas possible, que ce jeune homme ne pouvait accepter l’invitation de M. Riquemont ; que, s’il l’acceptait, s’il avait cette audace, elle se jetterait aux pieds de son mari, et qu’elle lui ferait entendre que cela ne se pouvait pas, et qu’au besoin elle lui dirait tout. Mais que lui dire ? À cette question, sa tête se perdait ; car ce qu’il eût fallu dire, elle l’ignorait et ne se l’était pas dit encore à elle-même. Et tout en s’écriant que cela ne se pouvait pas, elle donnait des ordres pour la réception de son hôte. Elle faisait préparer dans l’aile la moins sombre du château la chambre la moins triste et la moins délabrée, ouverte aux rayons du levant, et toute parfumée de la fleur des acacias, qui secouaient leurs grappes blanches sur le balcon de la fenêtre. — Il ne viendra pas, se disait-elle ; s’il a vraiment le noble esprit, l’ame délicate, le cœur intelligent qu’il m’a permis d’entrevoir, il ne viendra pas. — Et, quoique faible et languissante, elle veillait elle-même à ce que cette petite chambre eût un air de fête. Elle envoyait les roses et les lis du jardin s’y étaler dans leur magnificence. Sur le carreau, dévasté par le temps, on avait improvisé un tapis, taillé dans une vieille tapisserie représentant Apollon poursuivant Daphné : Apollon une jambe en l’air, les deux bras en avant ; Daphné éperdue, les pieds déjà enracinés au sol et les mains s’allongeant en branches de laurier. Le double rideau tombait en plis gracieux de la tringle dorée, et amortissait les ardeurs de midi. Rien n’avait été négligé pour donner à ce réduit un aspect joyeux et charmant. Louise voulut s’assurer par elle-même que tous ses ordes avaient été fidèlement exécutés ; mais, près de franchir le seuil, elle fut prise, sans savoir pourquoi, d’une grande honte, et se sauva toute confuse.

Ces soins avaient absorbé une partie de la journée. Louise venait, à son insu, de s’amuser avec le sentiment fraîchement épanoui dans son sein, comme un enfant avec son premier jouet. Elle avait paré la chambre de M. Savenay avec une joie de petite fille qui fait une chapelle. Mais, ces soins accomplis, toutes les terreurs, toutes les perplexités du matin revinrent l’assaillir en foule. Elle pensait aussi à son cher vieux docteur ; elle savait combien était vulnérable cette ame douce et tendre, toute remplie de susceptibilités exquises. Que