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LE DOCTEUR HERBEAU.

supposer, c’est admettre qu’ils ne sont pas ce qu’il y a de plus parfait au monde et de plus digne d’être aimé. Ces gens-là se défendent de la jalousie comme les fanfarons de la lâcheté ; il suffit de leur indiquer le danger pour qu’ils s’y jettent tête baissée. M. Riquemont avait donc cruellement souffert dans son amour-propre, et, pour prouver sa sécurité, il eût volontiers jeté Aristide à la porte et mis le jeune docteur à la place du vieux. En moins d’un instant, son affection pour M. Savenay redoubla, et l’antipathie que lui inspirait M. Herbeau devint presque de la haine. Ce fut bien une autre affaire, lorsqu’au retour de la promenade il aperçut, par la croisée ouverte, l’amoureux docteur agenouillé aux pieds de Louise, lui baisant la main et roucoulant comme un gros ramier. Il y avait long-temps que M. Riquemont supportait impatiemment les privautés que M. Herbeau s’arrogeait auprès de la jeune femme, ses petits soins, sa tendresse mignarde, sa galanterie surannée ; mais jamais il n’avait jusqu’alors vu les choses poussées à ce point. Le trouble du coupable, en se croyant découvert, passa tout à coup dans l’esprit de l’époux ; des pensées étranges, bizarres, dont il ne pouvait encore se rendre compte, se prirent à bourdonner dans sa tête ; et voilà pourquoi M. Riquemont, après avoir conduit le docteur jusqu’à la grille du parc, s’en était revenu le long des charmilles d’un air sombre et préoccupé.

Le lendemain, il se leva en belle humeur. Il avait fini par rire des folles idées qui l’avaient agité la veille, se promettant, toutefois, d’observer de près le docteur Herbeau. Il se leva, décidé à partir pour Saint-Léonard, à cette fin de faire visite à M. Savenay et de le ramener au château. Celui-là, du moins, était un bon compagnon, qui causait volontiers et doctement de toute chose, un savant modeste qui s’exprimait simplement et ne citait point Horace, un homme grave qui semblait beaucoup plus désireux de s’éclairer sur une question rurale que de conter fleurette aux femmes, un de ces hommes rares et sensés qui mettent un beau cheval au-dessus d’une belle maîtresse, préfèrent l’hippodrome au boudoir, et laissent l’amour aux oisifs. Sa conduite froide et réservée auprès de Louise, son peu d’empressement à la questionner, l’espèce d’indifférence avec laquelle il avait traité la question sanitaire, tout en lui avait charmé le châtelain. Aussi M. Riquemont voulait-il ne point tarder à lui témoigner toutes ses sympathies, d’autant plus empressé que c’était en même temps servir ses rancunes, désobliger la maison Herbeau, et montrer tout le mépris qu’il faisait des insinuations d’Aristide.