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plaire où lui, M. Riquemont, n’avait plus que le don d’ennuyer. Il s’apercevait qu’Aristide amusait Louise, qu’elle avait plaisir à le voir, qu’il était une distraction pour elle ; c’était là surtout ce qui l’exaspérait et le rendait furieux. On sait s’il s’en vengeait, et comment ! Malheureusement, ainsi que je l’ai dit plus haut, il était un terrain sur lequel le rustre ne pouvait atteindre sa victime, et lorsque M. Herbeau se retranchait dignement dans sa science de docteur, force était bien au campagnard de se retirer et de lui laisser le champ libre ; il s’en affligeait d’autant plus qu’il soupçonnait fort Aristide de n’être pas beaucoup plus solide sur ce terrain que sur beaucoup d’autres. Il avait été tenté plus d’une fois d’appeler un médecin de Limoges et de le mettre aux prises avec celui de Saint-Léonard ; mais il avait toujours reculé devant les frais qu’aurait entraînés un pareil tournoi. D’ailleurs, qu’en serait-il résulté ? Aristide convaincu d’ignorance, il eût fallu confier la santé de Louise au vainqueur ; Dieu sait ce qu’auraient coûté les visites ! Mais un jour, ayant appris qu’un nouveau docteur était venu s’établir à Saint-Léonard, il résolut aussitôt de les appeler tous deux en consultation auprès de sa femme. L’occasion d’humilier Aristide à bon compte était trop belle pour qu’il la laissât échapper. Nous devons dire aussi qu’il commençait à s’irriter singulièrement de l’état de langueur de Louise, qu’il était las de la voir souffrir, fatigué, alarmé peut-être, et qu’enfin sa conscience troublée entrait bien pour quelque chose dans cet appel aux lumières réunies du jeune et du vieux médecin. Louise s’était efforcée d’en dissuader M. Riquemont, elle comprenait vaguement que la médecine n’avait rien à faire auprès d’elle, elle craignait surtout de blesser la susceptibilité de son vieil ami ; mais M. Riquemont, voyant que sa femme répugnait à ce concours de la science, ne l’avait que plus énergiquement sollicité. On en connaît les résultats, si glorieux pour M. Herbeau. On n’a point oublié la gaieté perfide du châtelain, quelques heures avant la consultation, alors qu’il espérait assister à la défaite d’Aristide, ni son désappointement, ni de quelle façon brutale il leva la séance et coupa court à l’éloquente dissertation du docteur. Plût à Dieu que celui-ci se fût tenu à ce premier triomphe ! C’était bien assez pour un jour. Mais l’imprudent voulut aller trop loin ; il se perdit. On se souvient de ses insinuations auprès de M. Riquemont, à l’occasion de M. Savenay. M. Riquemont était un de ces hommes, — l’espèce n’en est point rare, — qui s’estiment trop eux-mêmes pour se faire l’injure d’être jaloux. Chercher à les rendre jaloux est l’offense la plus mortelle que vous puissiez leur faire ; c’est