de son mouvement avait fait rouler le fauteuil où il était assis contre une étagère chargée de potines et de cornets.
— Quelle mouche vous pique ? s’écria M. Richomme en regardant d’un œil piteux les débris épars sur le tapis ; prenez-vous mes vases du Japon pour des Bédouins ?
— Mille pardons ! je crois que je m’étais endormi, répondit M. Baretty d’une voix rauque.
Un regard furieux qu’il lança au même instant à sa femme m’apprit ce que je devais penser d’une pareille excuse.
— Vous avez le sommeil meurtrier, grogna l’ex-fournisseur. Que diantre ! quand on a envie de dormir, on va se coucher.
— C’est ce que je vais faire, répliqua le jaloux d’un ton moins grondeur ; à plus d’onze heures, il est bien temps de se retirer. Allons, madame ; je suis à vos ordres.
Mme Baretty se leva aussitôt sans dire un seul mot. Cette passive obéissance, si peu ordinaire chez une jolie femme, me confirma dans l’idée que j’avais sous les yeux le plus absolu des despotes et la plus soumise des esclaves. Si déjà toutes mes sympathies n’avaient pas été acquises à la belle opprimée, la façon touchante et résignée dont elle accepta le bras que lui offrait son tyran, eût suffi pour m’attendrir le cœur. Les deux époux sortirent presque aussitôt du salon, qui soudain me parut désert, comme l’Orient à Antiochus après le départ de Bérénice. Inoccupé désormais, j’attendis avec impatience la fin de la partie de wisth, qui s’acheva enfin et permit à chacun de se retirer. Sous le prétexte de fumer un cigare, j’accompagnai Maléchard dans sa chambre avant de rentrer dans la mienne.
— Comment trouvez-vous Mme Baretty ? lui demandai-je sans préambule.
— Pas mal, répondit-il négligemment.
— Pas mal ! Répétai-je en m’échauffant malgré moi ; l’éloge est assez mince. Mais d’abord l’avez-vous regardée ?
— Assez pour avoir le droit de la juger. Je préfère sa sœur.
— Parbleu ! je n’en doute pas, m’écriai-je en ricanant ; vous vous trahissez, mon cher. Mais j’aurais mieux aimé recevoir cet aveu de votre confiance.
— Je me trahis ! En quoi, s’il vous plaît ?
Je haussai légèrement les épaules
— Nierez-vous que vous fassiez la cour à Mme Richomme ? repris-je d’un air railleur.
Maléchard me regarda fixement.