Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/279

Cette page a été validée par deux contributeurs.
275
LE DOCTEUR HERBEAU.

doyantes, les ruisseaux murmurans ; insensible à tous ces biens, le berger exilé regrettait sa patrie. Ce petit morceau, qui se distinguait autant par la nouveauté du sujet que par l’originalité de l’exécution, avait profondément remué les deux époux. Il y régnait une douleur si poignante et si vraie ; les misères de l’exil, l’amour du sol natal, la haine de la terre étrangère, y étaient exprimés avec tant d’énergie, que M. et Mme Herbeau, saisis d’une terreur panique, s’étaient empressés d’écrire à leur unique héritier qu’il eût à faire sa malle et à revenir au logis, ajoutant que leur cœur, leur maison et leurs bras s’ouvriraient toujours avec bonheur pour le recevoir. On avait dû s’attendre à voir d’un jour à l’autre arriver Célestin ; mais, au lieu de Célestin, on vit tout simplement arriver une lettre, en prose celle-là, dans laquelle le jeune drôle, tout en remerciant son père et sa mère de leurs pieuses dispositions, faisait assez clairement entendre qu’il ne fallait pas ainsi prendre au sérieux l’exagération du langage poétique, ne doutant pas d’ailleurs que le travail et l’ambition de marcher sur les traces de son père ne l’aidassent à supporter patiemment les douleurs de l’exil. « Sans doute, écrivait-il, le pain de l’étranger est amer, mais trempé dans les eaux de la science, il perd beaucoup de son amertume. » Il ajoutait que, si le docteur Herbeau daignait augmenter de quelques cents francs la pension de son fils, cette munificence permettrait au pauvre exilé de beurrer quelque peu le pain de l’étranger, et le lui rendrait d’une digestion plus facile.

Tant de courage et de volonté, cette noble ardeur qu’il témoignait à vouloir suivre l’exemple de son père, avaient singulièrement ému ces bons parens, et le docteur s’était empressé d’élever à quinze cents francs la pension du cher espoir de sa race, non sans lui faire observer toutefois que de son temps la jeunesse était moins onéreuse aux familles, et qu’il avait, lui, Aristide Herbeau, alors qu’il étudiait à Montpellier, trouvé le moyen d’économiser sur sa pension de mille livres le prix de ses examens et de sa thèse. Mais il voulait que Célestin se répandît dans le monde élégant et figurât convenablement à l’école des belles manières ; car, ce qui le révoltait surtout dans la jeune médecine, c’était l’oubli du savoir-vivre, le mépris du beau langage, l’absence des façons galantes. Aussi, en écrivant à son fils, n’avait-il jamais manqué d’insister sur ce point, ne cessant de répéter qu’Esculape était fils d’Apollon, et qu’Hippocrate avait été le premier gentilhomme de la Grèce.

Ainsi dirigé, Célestin, au bout d’un an, était devenu pour ses pareils un grand sujet de légitime orgueil et de satisfaction intérieure.