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ne faisait qu’irriter son humeur. Le jour, elle pleurait son époux infidèle, et n’avait pas, la nuit, les profits du remords.

Ce n’était pas la première fois qu’Adélaïde veillait ainsi, la défiance au cœur. Il y avait long-temps que ses soupçons rôdaient autour du château de Riquemont. L’assiduité d’Aristide auprès de Mme Riquemont, la jeunesse de Louise, ses graces et sa beauté souffrante, troublaient depuis long-temps la sécurité de l’épouse. Elle avait observé qu’Aristide, toutes les fois qu’il allait au château, ne revenait jamais sans une fleur à sa boutonnière. Un jour, elle avait trouvé dans un des arçons de sa selle un gros bouquet de vergissmeinnicht ; un autre jour, dans la poche de son gilet, une lettre de Louise qui prodiguait au docteur les noms les plus tendres. Un jour enfin, elle l’avait surpris écrivant dans le kiosque quelques couplets amoureux. C’étaient de petits vers adressés à la bergère Sylvanie, par lesquels Aristide implorait la fin de son martyre. On ne saurait imaginer tout ce que ces découvertes avaient soulevé de tempêtes dans l’ame d’Adélaïde. Toutefois, lorsqu’il s’était agi de la gloire de sa maison, Adélaïde, en vraie Romaine, avait crié tout beau à son cœur. Mais à présent que l’honneur était sauf et que Riquemont restait à la clientèle du docteur Herbeau, elle ne pouvait s’empêcher de déplorer ce triomphe qui allait lui coûter tant de jours sans repos, tant de nuits sans sommeil. Que résoudre et que faire ? D’une part, abandonner Riquemont, déserter une place où les Herbeau venaient d’affermir si glorieusement leur drapeau, céder au jeune docteur une clientèle dont la défection entraînerait nécessairement toutes les autres, il n’y fallait pas songer. D’une autre part, autoriser, comme par le passé, les assiduités du docteur auprès de Louise, Adélaïde n’en sentait plus en elle l’héroïque courage. Concilier les intérêts de son amour et ceux de sa maison, conserver à la fois Riquemont et le cœur d’Aristide, c’était là la question.

Sur le coup de minuit, Mme Herbeau appela son mari. Mais tous les canons de Saint-Léonard auraient tonné aux oreilles d’Aristide sans le réveiller. Mme Herbeau se décida à le tirer violemment par le bras. Il ouvrit les yeux, et, prenant la lueur de la lampe pour l’éclat du jour, il se préparait à sauter à bas du lit pour aller seller Colette, quand, au même instant, la pendule sonna minuit.

— Aristide, dit Mme Herbeau, il s’agit de choses sérieuses, et je souffre de vous entendre ronfler comme une toupie d’Allemagne, quand votre gloire et votre fortune sont à la veille de leur ruine. Vous dormez comme un loir, sur le bord d’un abîme.