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LE DOCTEUR HERBEAU.

ses jambes, et ses ailes de pigeon s’aplatirent d’elles-mêmes sur ses tempes, Louise riait toujours, et, toujours en dehors du salon, M. Riquemont, dont la tête s’élevait au-dessus de la fenêtre, regardait le docteur d’un air en même temps réfléchi et goguenard.

M. Savenay, qui venait de faire brider son cheval, tira le docteur de cette position difficile. Il présenta ses hommages à la jeune femme, qui rougit en les recevant ; M. Riquemont lui serra cordialement la main.

— Nous nous reverrons, monsieur, lui dit-il : j’aime les gens de votre trempe ; nous nous reverrons à coup sûr. Vous me plaisez beaucoup, monsieur Savenay, mais beaucoup, et je persiste à dire que si vous voulez me vendre votre cheval…

— Je regrette, monsieur, répondit Savenay, de ne pouvoir vous être agréable en cette occasion ; cette bête a été élevée par mon père, à mon intention ; mon père n’est plus, et vous comprenez…

— Très bien ! très bien ! s’écria M. Riquemont. Ah ! votre père faisait de semblables élèves ! Eh bien ! monsieur, c’était un digne homme qui élevait également bien ses chevaux et ses enfans ; le pur sang limousin a fait, en le perdant, une irréparable perte.

En parlant ainsi, M. Riquemont lui serra de nouveau la main. Le jeune docteur adressa quelques paroles respectueuses à son silencieux confrère, puis, une fois en selle, il envoya du regard un long adieu à Louise, de la main un salut gracieux au châtelain, et, maîtrisant l’ardeur de sa monture, il s’éloigna lentement, comme s’il eût craint d’humilier le vieux docteur dans son affection pour Colette.

Le départ de Savenay ne précéda que de quelques minutes celui du docteur Herbeau. Aristide se sentait mal à l’aise auprès de M. Riquemont ; toutefois celui-ci n’ayant plus fait allusion à la situation dans laquelle il l’avait surpris, et n’ayant témoigné là-dessus ni jalousie, ni soupçons, ni ressentiment d’aucune espèce, Aristide finit par se rassurer et par conclure que M. Riquemont n’avait rien vu, ou rien compris. Louise, qui souffrait pour son vieil ami des prévenances affectueuses que son mari venait de prodiguer au jeune étranger, — grâce à cet instinct charmant que les femmes connaissent seules, elle en souffrait d’autant plus pour lui qu’en secret elle en était heureuse ; — Louise redoubla de séductions innocentes et trouva moyen de lui donner à la dérobée son beau front à baiser. Elle s’approcha de Colette, caressa la crinière du vilain animal, et remarqua tout haut combien une telle monture était préférable, en ses pacifi-