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science aux abois lui inspirait des résolutions désespérées : il se décidait à rompre un lien illicite, et, pour modérer les élans de son repentir, ce n’était pas trop d’une recrudescence de brutalité de la part de M. Riquemont et d’un redoublement d’humeur chez l’acariâtre Adélaïde. Alors, du moins, il avait une excuse à ses trahisons ; plus tourmenté, plus abreuvé de fiel, son bonheur lui semblait moins amer et plus légitime. Son martyre lui rouvrait les portes du ciel ; il trouvait dans les persécutions qu’on lui faisait subir la permission d’aimer et d’être aimé.

Cependant les trois promeneurs avaient repris le chemin du château. Arrivé sur la terrasse, le docteur parvint à s’échapper et courut, l’imprudent, où l’appelait son cœur.

Louise était plongée, depuis une heure, dans cet état de rêverie qui flotte entre la veille et le sommeil, et qui est à la pensée ce que le crépuscule est à la terre, lorsqu’elle se sentit tout à coup réveillée par la pression d’une main qui s’était emparée de la sienne. Elle ouvrit les yeux et reconnut le docteur Herbeau agenouillé aux pieds de la bergère.

— Cher docteur ! s’écria-t-elle avec effusion, tout émue qu’elle était encore du bonheur nouvellement éclos qui chantait dans son ame.

Ce cri de tendresse pénétra de part en part le cœur d’Aristide, et en fit jaillir une de ces phrases surannées qui, pour cet esprit naïf, étaient restées l’expression la plus vraie et la plus hardie de la passion.

— Divine Louise ! dit-il en baisant une petite main qu’on ne retira pas ; Vénus endormie n’était pas plus belle que vous !

— Prenez garde, répondit la coquette en faisant allusion à Mme Herbeau, dont la jalousie était bien connue dans le pays ; prenez garde, comme Paris, de vous brouiller avec Junon.

— Pour vous, ravissante Louise, s’écria l’amoureux Aristide, qui n’avait jamais sollicité de plus doux transports, ni rêvé de plus tendre langage ; pour vous, je me brouillerais avec tout l’Olympe ; pour vous, chère enfant, que ne ferais-je pas !

— Vous ne feriez pas galoper Colette ! dit une voix formidable qui se fit entendre sous la fenêtre du salon.

Cette voix était celle de M. Riquemont, qui avait tout vu et tout entendu. Louise ne put s’empêcher de rire ; pour Aristide, il demeura foudroyé sur place. Son visage passa subitement par toutes les teintes du vermillon et du blanc de céruse ; son ventre oscilla sur