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bouleau frémissaient d’amour autour d’elle ; les insectes ailés semaient l’air de rubis, d’améthistes et d’émeraudes ; les herbes, échauffées par le soleil, faisaient entendre cette crépitation voluptueuse qui remplit les champs durant les beaux jours. Louise pleura, mais ses larmes ne furent point amères ; elle rêva, mais cette fois ses rêves parcoururent des régions enchantées, son ame y rencontra des ames fraternelles. Les tièdes brises passaient sur son visage comme des bouffées de bonheur ; il lui semblait que la création venait de commencer pour elle. L’univers était jeune et beau ; elle souriait au printemps, à la lumière, à l’azur du ciel ; elle croyait entendre des voix mélodieuses qui chantaient en elle, et se mêlaient aux divins concerts de la nature. Quel changement s’était fait dans son existence ? Elle l’ignorait et ne se le demandait pas ; mais elle sentait que le monde n’était plus désert et que la vie avait des fleurs, des fruits et des ombrages verts. Elle demeura long-temps ainsi. Il était l’heure de midi ; les arbres n’avaient plus d’ombre : elle se leva et suivit l’allée du château. Son pas était lent, mais léger. Arrivée sur la terrasse, le vieux castel de Riquemont lui parut moins laid et moins triste. Le cheval de Savenay revenait de l’abreuvoir ; elle l’admira avec un sentiment de satisfaction intérieure dont elle ne chercha pas à se rendre compte. Rentrée au salon, elle se laissa tomber sur sa bergère. La croisée était ouverte ; Louise aspira l’air avec joie. Son pouls était rapide, les roses de la santé semblaient prêtes à refleurir sur ses joues ; tous ses membres étaient chargés de cette molle fatigue que jette à la jeunesse le retour du printemps. Elle se rappela les premières paroles que lui avait murmurées Savenay ; elle se dit qu’en effet la nature était bonne.

Cependant le docteur Herbeau expiait cruellement le triomphe éclatant qu’il venait de remporter. Obligé de reconnaître la supériorité d’Aristide, poussé par le sentiment d’une jalousie que nous n’avons qu’indiquée jusqu’ici, mais qui doit se développer plus tard, M. Riquemont faisait payer chèrement au docteur ses succès et ses avantages. Au lieu de suivre les sentiers qui couraient tapissés de verdure sous le dôme des ormeaux et des chênes, il avait pris méchamment à travers les terres labourées, sous un soleil de feu, et, quand Aristide, le front ruisselant de sueur, restait en arrière et faisait mine de vouloir s’échapper le long de quelque haie, le châtelain s’arrêtait aussitôt, et, l’appelant du geste et de la voix, se gaudissait de le voir péniblement enjamber les sillons qui, comme autant de poutres, lui barraient le passage.