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REVUE DES DEUX MONDES.

— J’ai laissé dans nos monts une vieille mère et une jeune sœur : toutes mes joies, madame, et toutes mes douleurs sur la terre.

— Vos joies, sans doute ; mais pourquoi vos douleurs ?

— Ma sœur est consumée par un mal sans remède.

— Vous dites sans remède, vous, docteur ! vous, son frère !

— La science n’y peut rien, madame, et, si l’amour d’un frère avait pu la guérir, je ne pleurerais pas sur elle.

— La jeunesse la sauvera.

— C’est la jeunesse qui la tue. Hélas ! son mal n’a pas de nom ; c’est une de ces ames solitaires qui se dévorent dans le silence, un de ces cœurs trop richement doués qui se flétrissent et meurent au milieu de leurs richesses inactives. Il serait difficile, madame, de compter tout ce que la province renferme de ces natures languissantes. Le monde ne les connaît pas, et elles ignorent elles-mêmes le mal qui ronge leur printemps dans sa fleur. Éplorées, elles ne savent pas la cause de leurs larmes ; rêveuses, elles entrevoient à peine la patrie de leurs rêves. Elles portent en elles un deuil qui ne pleure personne et qui s’étend sur toutes choses. Le monde, les voyant entourées des faveurs de la fortune, déplore que Dieu ait refusé la santé à tant de bonheur, et la science, s’épuisant pour elles en vains efforts, torture ces faibles corps qui ont déjà bien assez de leur ame. Le monde est grossier, et la science est aveugle. Mais que vous conté-je là, madame ? J’oublie que ces réflexions, inspirées par le misérable état d’une personne qui m’est chère, ne sauraient avoir pour vous qu’un médiocre intérêt.

— Vous vous trompez, monsieur, vous vous trompez peut-être ; poursuivez, je vous prie ; votre sœur m’intéresse vivement ; jeune, noble et souffrante, n’a-t-elle pas droit à l’intérêt de tous ? Qu’est-ce donc enfin que ce mal ? ajouta Louise avec une inquiète curiosité.

— Qui pourrait le dire, madame ? Elle sent en elle un fleuve de vie qui voudrait s’épancher, et qui, refoulé sans cesse, dévaste le sein où il est enfermé. Dieu, dans sa cruelle bonté, l’a faite riche de trésors qui n’ont point cours autour d’elle. Pâle, triste, affaissée, elle promène sur nos collines ses jours mornes et ennuyés, ou bien, assise au coin du foyer, elle cache des larmes que ne comprendrait pas sa mère. L’inaction la consume, une secrète impatience la dévore. Il est un bonheur innomé, souvenir du ciel que nous apportons en naissant ; elle le demande à la nuée qui passe, à l’oiseau qui vole, au vent qui gémit. Les soupirs de la brise à travers le feuillage la plongent dans d’inexplicables rêveries. Parfois pèse sur elle, comme un sommeil de plomb, une insoucieuse indolence ; parfois aussi, saisie de