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LE DOCTEUR HERBEAU.

— Louison, lui dit son mari, viens visiter mes poulains ; une petite promenade te fera du bien.

— La faiblesse du sujet et la force de ma volonté s’y opposent, s’écria Aristide, pressé de proclamer les droits dont il venait de s’assurer la jouissance.

— En effet, dit-elle, mes pauvres jambes me soutiennent à peine ; mais j’aurai la force de vous accompagner jusqu’à la porte du parc.

Le docteur fut obligé de céder au caprice de sa malade, et tous quatre sortirent, accompagnés de la meute joyeuse. M. Riquemont s’étant emparé d’Aristide pour lui montrer ses espaliers en fleurs, M. Savenay offrit naturellement son bras à Mme Riquemont, qui ne l’accepta qu’en rougissant. Il mesura son pas à celui de Louise, et tous deux allèrent lentement, sur les gazons fleuris, suivant à longue distance le vieux docteur et le campagnard.

— Eh bien ! monsieur Herbeau, demanda celui-ci, que pensez-vous de ce jeune homme ?

En voyant Louise attachée au bras de Savenay, le vieux docteur n’avait pu réprimer un mouvement de jalousie. Ce n’était pas assez pour lui d’avoir triomphé sur le terrain de la science : il est des triomphes plus doux ! Aristide s’était assuré la conquête de la gastrite ; mais il fallait encore sauver la clientèle du cœur. D’ailleurs, M. Herbeau ne se dissimulait pas que cette conquête pouvait lui échapper d’un jour à l’autre. Il connaissait M. Riquemont ; il savait combien son humeur était capricieuse et fantasque, et, malgré les belles protestations qu’il avait reçues de ce diable d’homme, il ne se cachait pas à lui-même que M. Savenay avait singulièrement réussi dans le cœur de son hôte. En moins d’un instant, la candeur d’Aristide s’altéra, son innocence pâlit, sa vertu chancela, et Yago passa tout entier dans cette ame que Dieu avait pétrie d’amandes douces, de lait et de miel.

— Ce jeune homme est bien, très bien, en vérité, répondit le perfide Herbeau. Il manque d’expérience, il a besoin d’études, mais l’exercice de son art le fortifiera. Et puis, c’est un garçon modeste, s’exprimant avec facilité, jugeant bien les hommes…

— Et les chevaux aussi, s’écria M. Riquemont ; avec cela un véritable agronome, qui pourrait en montrer aux plus habiles ; en même temps un excellent horticulteur, capable de nous faire manger des melons à la Saint-Philippe !

— Ce jeune homme est fort bien, à coup sûr, ajouta le docteur d’une voix paternelle ; dans quelques années, il pourra faire un mé-