Durant le déjeuner, M. Savenay fut grave sans pédanterie, fit honneur aux vins du château, parla de tout, excepté de son art, entretint longuement M. Riquemont des dernières courses du Champ-de-Mars, s’intéressa à ses plantations et sollicita la faveur d’être admis à visiter ses prés et ses poulains. Il traita plusieurs questions d’agronomie et d’hippiatrique avec une sagacité rare, et soutint sur la culture des melons une discussion qui lui fit le plus grand honneur dans l’esprit de M. Riquemont. La politique eut son tour. Il trouva le moyen de flatter les opinions de son amphitryon, sans trop blesser la religion de son confrère. Il sut faire la part du passé et de l’avenir. M. Riquemont ne se sentait pas d’aise de voir ce jeune homme à sa table. Il but et mangea férocement, trouva le jeune médecin adorable et déclara, à la perruque d’Aristide, que M. Savenay était le premier docteur spirituel qu’il eût rencontré jusqu’alors. Aristide fut calme et digne, mangea d’un appétit résigné, dans l’attente de l’heure pour laquelle il avait réservé toutes les ressources de son esprit, heure solennelle qui devait le venger de l’impertinence de son hôte ; car cette heure de la consultation, qu’il avait si longtemps redoutée, ne l’effrayait plus : enorgueilli de l’humilité de son rival, puisant à chaque instant une nouvelle audace dans la conversation frivole de M. Savenay, Aristide se sentait fort de la faiblesse présumée de son adversaire, et, sûr d’un triomphe facile, il appelait vaillamment le combat.
Le rusé châtelain ne l’appelait pas avec une moindre impatience, car on se tromperait étrangement, si l’on pensait que M. Riquemont, en attirant le nouveau docteur, n’eût cédé qu’à un sentiment de sollicitude conjugale. Il mentait horriblement, comme un fin paysan qu’il était, quand il cherchait, quelques heures auparavant, à rassurer les susceptibilités d’Aristide. Le fait est qu’il avait imaginé cette espèce de tournoi médical, dans l’unique espoir que le docteur Herbeau y mordrait la poussière. Ce n’était pas qu’il tînt précisément à lui enlever la clientèle du château ; seulement il se promettait une grande joie de le voir vaincu et humilié sur le terrain de la science, le seul sur lequel il ne pouvait le poursuivre et l’atteindre. Ce fut lui qui donna le signal et mit les deux champions aux prises. Mais, ainsi qu’on va le voir, M. Riquemont fut cruellement trompé dans ses perfides espérances, et le docteur Herbeau se couvrit d’une si belle gloire, qu’il déclarait, au lit de mort, n’avoir jamais eu un plus beau jour en sa vie, pas même celui où il gagna la croix d’honneur.
— Eh bien ! docteur Savenay, dit M. Riquemont vers la fin du repas, que pensez-vous de cette petite Louison ?