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son fidèle chevalier, et M. Savenay s’entretenant avec M. Riquemont de l’éducation des chevaux avec un intérêt et une intelligence qui enchantaient le campagnard et qui eussent fait honneur à un grand prix de New-Market.

Arrivée dans le salon, Louise, épuisée par la marche et par le grand air, se laissa tomber dans une bergère ; sa pâleur était livide et sa respiration étouffée.

— Ce ne sera rien, dit M. Riquemont, cet état la prend dix fois par jour : pas vrai, Louison ? Au reste, messieurs, ajouta-t-il en passant dans la salle à manger, c’est votre affaire et je vais à la mienne.

Aristide cherchait à ranimer Louise. Debout et silencieux, Savenay tenait sur elle un regard profond et rêveur.

— C’est une syncope occasionnée par l’affaissement du système général, dit Aristide d’une voix solennelle ; le pouls est imperceptible et la prostration complète.

— Ce n’est rien, ce n’est rien, dit Louise en reprenant ses sens ; un peu de fatigue, voilà tout. Messieurs, oubliez-moi ; je suis mieux, beaucoup mieux, répéta-t-elle encore.

En cherchant Savenay qu’elle n’apercevait pas, ses yeux rencontrèrent le regard scrutateur que le jeune homme avait rivé sur elle. Une légère teinte rosée colora la pâleur de ses joues.

Aristide était passé dans la salle à manger, afin de laisser au jeune docteur la liberté d’interroger le sujet et le loisir d’étudier le mal. Le jeune homme s’approcha et prit une des mains de Louise dans les siennes. Les mains de Savenay étaient douces et blanches, et sous leur chaleur fine et parfumée le pouls de la malade sembla palpiter moins faible et plus rapide. Il la contempla quelques instans en silence, toujours avec ce même regard inquisiteur et lent qui semblait s’infiltrer jusqu’au fond du cœur de Louise ; puis, après lui avoir adressé quelques questions générales, prélude obligé de tout interrogatoire médical, ses yeux exprimèrent un sentiment de pitié douloureuse, et il pressa avec une affectueuse gravité les doigts amaigris qu’il tenait encore. Nature faible et nerveuse, Louise se sentit frappée d’une commotion électrique.

— Madame, lui dit-il enfin d’une voix pleine d’onction, les ressources de la science sont bien bornées : la science ne donne pas la rosée aux plantes, le soleil aux fleurs, la sève aux rameaux ; mais vous guérirez, madame, parce que la nature est bonne.

Et, laissant Louise étonnée et rêveuse, il alla s’asseoir entre les deux convives.