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LE DOCTEUR HERBEAU.

— C’est horrible, cela ! s’écria Louise.

— « Et se précipitant sur la victime, au bruit de la foudre, à la lueur des éclairs, au tintement de la cloche funèbre… »

— Mais, monsieur, c’est horrible ! répéta Louise en arrachant le journal des mains de M. Riquemont.

— Voilà donc où nous allons ! s’écria le châtelain en croisant ses bras sur sa poitrine et en laissant tomber sur le docteur Herbeau un regard foudroyant. Voilà, monsieur, où vous voulez mener la France ! Qu’on vous laisse faire, et nous aurons, avant dix-huit mois, les massacres de la Saint-Barthélemy, les dragonnades, le rétablissement de la torture et les horreurs de l’inquisition !

— Mais, monsieur, hasarda timidement le docteur Herbeau.

— Allons, voilà que vous vous emportez ! On ne peut pas causer avec vous que la discussion ne dégénère aussitôt en dispute.

Aristide poussa un profond soupir, regarda Louise et se sentit vengé.

— Et que dit-on du nouveau docteur ? demanda Louise, pour détourner le cours de la conversation.

— Oui, au fait ! s’écria M. Riquemont sans laisser à Aristide le temps de répondre, que dit-on du nouveau docteur ? C’est un rival, un fossoyeur de plus qui va vous disputer le cimetière de Saint-Léonard. Est-il jeune ? est-il vieux ? Je suis curieux de le voir. Chose singulière, tous les docteurs que j’ai connus étaient vieux et laids. Au reste, monsieur, vous pouvez dormir tranquille ; vous n’avez pas ici de rivalité à craindre, et si quelqu’un meurt au château, ce ne sera que de votre main. — Pas vrai, Louison ?

— Mon ami, dit Louise d’un air souffrant, vous êtes ce matin d’une gaieté impitoyable.

— En effet, dit Aristide, je trouve M. Riquemont excessivement gai.

— Oui, oui, très gai, s’écria le campagnard en riant aux éclats. Et toi, Louison ? Mais ce diable de Savenay ne vient pas, ajouta-t-il en tirant de son gousset une horrible montre de similor. Vous, papa, à la bonne heure ; vous ne faites pas attendre vos malades, surtout lorsque l’aiguille du cadran marque en même temps l’heure de la consultation et celle du déjeuner.

Louise tourna vers le docteur un regard si long et si tendre, ses beaux yeux bleus eurent une expression à la fois si triste et si suppliante, qu’Aristide se sentit remué jusque dans le fond du cœur. Seulement, il ne comprit pas que c’était, comme toujours, le morceau de sucre qu’on donne aux enfans pour adoucir sur leurs lèvres l’amertume de la médecine qu’ils ont avalée, et cette fois, comme