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cacher un bonheur imaginaire il se donnait autant de mal que d’autres en auraient pris pour le réaliser.

Louise se leva, et, s’appuyant sur le bras du docteur, tous deux allèrent à la rencontre de M. Riquemont, qui venait, un fusil sur l’épaule, précédé d’une meute complète.

— Bonjour, papa Herbeau, dit le campagnard en frappant de sa main le ventre d’Aristide. Comment se porte la maman Herbeau ? Et ce cher Célestin ? avons-nous de ses nouvelles ? marche-t-il toujours à grands pas dans la voie de vos vertus et de vos mérites ? Et cette chère Colette ? Vous, papa, toujours frais et fringant ! décidément vous volez la santé de vos malades. Mais je ne vois pas M. Savenay. Ah çà ! j’espère bien, docteur, que vous ne vous formaliserez pas de la présence d’un confrère au château. C’est une pure formalité ; mais il faut tout prévoir : un malheur est si vite arrivé ! Du moins, si on a fait, pour le prévenir, tout ce qu’il était humainement possible de faire, eh bien ! ma foi, lorsqu’il arrive, on n’a rien à se reprocher ; la conscience est calme et on dort tranquille. — Pas vrai, Louison ? ajouta-t-il en se tournant vers Mme Riquemont, qui ne répondit pas.

M. Riquemont parla long-temps ainsi, ajoutant à l’élévation des pensées et à la distinction du langage la grace de son rire limousin et l’élégance de son geste rustique. Louise était rêveuse. Aristide marchait silencieux et tout occupé à garantir les basques de son habit des caresses de la meute qui gambadait autour de lui. M. Riquemont faisait à lui seul tous les frais de la conversation.

Comme ils arrivaient sur la terrasse, le garde-champêtre remit à son maître un paquet de journaux qu’il apportait de la ville : c’étaient le Constitutionnel, le Journal des Haras et les Annales agronomiques. Le châtelain déchira les bandes et se prit à parcourir chaque feuille d’un air important. Il lisait depuis quelques instans, quand tout d’un coup son visage s’épanouit, ses narines se gonflèrent, son front s’illumina. Il interrompit sa lecture, et, cherchant du regard le docteur Herbeau qui s’était éloigné de quelques pas :

— Papa Herbeau ! s’écria-t-il.

Le docteur s’étant approché :

— Écoutez cela, papa ! dit M. Riquemont en lui frappant sur le ventre.

En déployant les feuillets du journal, il lut complaisamment, à haute et intelligible voix :

« On nous écrit de Nantes, à la date du 20 avril 18…

« Un fait déplorable, qui ne se renouvelle que trop souvent dans