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velours déchirée par l’épine d’une haie, sa perruque pêchée à la ligne par quelque enfant malicieux, son kiosque en flammes, Colette poussive, tous ses cliens bien portans, enfin toutes les catastrophes dont la prévision avait parfois effrayé son imagination timorée, l’eussent plongé, en se réalisant, dans une affliction moins tourmentée. La charge sonnait déjà, et la lutte allait commencer ! Elle allait commencer par un combat singulier, par un duel au grand jour, face à face, sur le même terrain, sur un terrain où le pauvre Aristide n’avait encore marché qu’en tâtonnant. Et quelles armes inégales, grand Dieu ! Henri Savenay tout frais émoulu, Aristide Herbeau tout rouillé par une longue sécurité. Et quelle honte pour ce dernier, s’il allait faillir à la première passe ! Quel affront, si le nouveau docteur allait la découvrir, la source de ce mal, si long-temps et toujours vainement cherchée par Herbeau ! Quel désastre, s’il allait le dompter et le vaincre, ce mal contre lequel s’était brisée la science d’Aristide ! Que dirait le pays ? que dirait M. Riquemont ? que dirait Louise elle-même ? La clientèle du château ne serait-elle pas le prix du vainqueur ? Angoisses du cœur, qui pourra vous peindre ? qui pourra dire tout ce qu’Aristide avala de couleuvres durant la nuit qui précéda cette joute solennelle ?

La nouvelle que M. Savenay venait d’être appelé au château de Riquemont pour conférer avec M. Herbeau sur la santé de la jeune châtelaine s’était en moins de quelques heures répandue dans toute la ville. L’état maladif de Mme Riquemont préoccupait depuis longtemps les habitans de Saint-Léonard. Les ennemis d’Aristide en murmuraient tout haut ; ses amis osaient à peine le défendre tout bas. On attendait donc impatiemment le résultat de ce grand concours de la science. Il s’agissait désormais de savoir si le sceptre resterait entre les mains du docteur Herbeau, ou s’il passerait entre celles du docteur Savenay : grave question qui devait se vider le lendemain au château de Riquemont.

Ce fut encore Adélaïde qui chercha à relever le courage abattu de son époux. — Aristide, lui dit-elle, il ne faut pas vous dissimuler que votre honneur, votre réputation et l’avenir de Célestin dépendent du jour de demain. Toute la contrée a les yeux sur vous : vaincu, elle vous délaisse ; triomphant, elle est toute à vous. Vous triompherez, c’est mon cœur qui me le dit. Qu’est-ce, après tout, que ce Savenay ? On le vante, on le prône : qu’a-t-il fait ? qui l’a vu ? Allez, prenez courage et songez que vous allez combattre pour vos autels et pour vos foyers.