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LE DOCTEUR HERBEAU.

ni beaucoup plus vieux ni plus laid que M. Riquemont, qu’il avait sur lui, par son intelligence et par ses manières, une supériorité incontestable, et qu’enfin, grace à l’isolement de Louise, il n’avait pas d’autre comparaison à redouter, peut-être s’étonnera-t-on moins de la présomption du trop inflammable Aristide. Et puis, il faut bien se dire qu’en changeant de nature, son affection avait conservé la même allure et le même langage. C’était une flamme discrète qui brûlait doucement dans son cœur, sans éclat et sans bruit, et que Louise entretenait sans beaucoup de frais à son insu. Les passions avaient toujours traité M. Herbeau avec tant d’indulgence, qu’il leur rendait politesse pour politesse, et son amour était à la fois si plein de confiance et de réserve, qu’il aurait pu vivre de longues années auprès de Louise sans qu’elle se doutât que l’expression de cet amour fût autre chose que le langage d’une antique chevalerie, et sans qu’il soupçonnât la tendresse de Louise de n’être que ce qu’elle était véritablement, une douce amitié, relevée par une coquetterie innocente. Cette petite intrigue, dont il faisait tous les honneurs, remplissait de joie le bon docteur, qui prenait hardiment pour des frégates les coquilles de noix qu’il avait lancées sur le fleuve de Tendre ; d’une joie d’autant plus vive, que la conscience de son bonheur, quoique purement honoraire, suffisait aux exigences de sa passion et le vengeait secrètement des railleries de M. Riquemont. Pour M. Riquemont, il avait bien remarqué l’intimité qui existait entre sa femme et le docteur ; il l’avait même observée de près, et bien qu’il n’eût rien découvert qui pût alarmer ses susceptibilités conjugales, il nourrissait contre Aristide je ne sais quelle humeur jalouse qu’il ne s’expliquait pas à lui-même, mais qui n’attendait qu’une occasion pour éclater. Les choses en étaient là depuis plusieurs mois et ne semblaient pas devoir prendre de long-temps une face nouvelle : Louise toujours souffrante, le docteur toujours épris, le châtelain toujours brutal.

Le docteur revenait donc tout pensif du château de Riquemont, par une belle soirée d’avril ; il en revenait, sachant moins que jamais à quoi s’en tenir sur la maladie de Louise, car Louise était devenue la préoccupation continuelle d’Aristide. C’était la fleur de sa clientèle, le diamant de sa couronne : fleur étiolée, diamant dont chaque jour altérait le limpide éclat. À chaque visite nouvelle au château, la science du docteur recevait un vigoureux soufflet, et cette fois la pauvre fille revenait la joue toute meurtrie.

En approchant de la ville, les sombres rêveries d’Aristide firent