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tri sur le champ de la discussion, Louise alors se mettait à l’œuvre. Elle relevait la victime et lui faisait de sa tendresse un édredon sur lequel elle le berçait mollement. Aristide était le médecin du corps de Louise ; Louise était le médecin de l’ame d’Aristide. Si le mal qui la consumait lui laissait quelque trêve, elle prenait le bras de son docteur chéri, et tous deux s’en allaient à pas lents le long des charmilles. La jeune femme avait un art exquis pour flatter les manies de son vieux camarade. Le docteur savait un peu de botanique ; Louise se faisait dire le nom des plantes et des fleurs, l’histoire de leurs instincts et de leurs amours. Elle aimait les poètes que le docteur aimait. Elle regrettait que son éducation imparfaite ne lui permît pas de lire Horace dans le texte. S’ils rencontraient Colette au retour de l’abreuvoir, elle s’approchait de l’horrible bête, et flattait affectueusement son vilain col gris. Elle cueillait de beaux bouquets de fleurs des champs, et les offrait coquettement à son chevalier. Elle manquait rarement de lui passer un bluet à la boutonnière, disant qu’elle aimait le bleu, et qu’elle voulait que son cher docteur portât la couleur de sa dame. Enfin, que vous dirai-je ? elle cherchait à se faire pardonner son mari.

Il arriva que le docteur, qui n’avait pas les perceptions du cœur bien déliées, et dont la vanité, ainsi que je l’ai dit déjà, fleurissait, comme les primevères, sous la neige, s’exagéra l’expansive tendresse de Louise, en dénatura le sens, et qu’au lieu de remercier, dans son humilité, le butor qui lui valait de si doux dédommagemens, il ne rendit grace, dans son orgueil, qu’aux séductions de son génie et aux charmes de sa personne. Il imita ce vétéran de la grande armée qui s’enivrait régulièrement tous les jours avec la liqueur destinée à laver ses blessures. Louise ne comprit pas ce qui se passait dans cette ame, et comme, chez elle, l’esprit avait autant besoin de distraction que le cœur, elle ne put résister au plaisir d’assaisonner son intimité d’un petit grain de coquetterie et d’agacer parfois la sentimentalité surannée de son vieux ami, n’imaginant pas que ce jeu pût avoir pour elle ou pour lui le moindre danger. Aristide fut dupe de ce petit manége, et la jeune femme, un jour qu’elle craignait pour lui quelques nouvelles bordées de sarcasmes, lui ayant conseillé gaiement de réserver l’expression de ses beaux sentimens pour les heures où son mari serait absent, le vieux Céladon ne douta plus qu’il ne fût lancé dans une intrigue amoureuse. Si l’on veut bien se rappeler que la jalousie d’Adélaïde autorisait depuis long-temps ces retours d’une jeunesse évanouie, si l’on songe qu’après tout le docteur n’était