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LE DOCTEUR HERBEAU.

sait que la Pucelle de Voltaire. Aristide évitait autant que possible les occasions de se mesurer avec un si rude jouteur ; mais celui-ci avait un art merveilleux pour l’amener, bon gré, mal gré, sur le terrain de la discussion. Le docteur y apportait des formes courtoises qui ne faisaient qu’irriter le campagnard, et c’était alors, de la part de ce dernier, des éclats de voix qui frappaient Louise de stupeur, et le docteur lui-même d’épouvante. Ainsi, M. Riquemont n’avait pas de plus grande joie que de déclamer avec emphase, devant Aristide, les passages de son journal, extraits du carton aux vicaires. Aristide avait pris le parti de subir patiemment ces lectures et de ne jamais y répondre ; mais si, par malheur, en les écoutant, il laissait échapper un sourire, ou s’il se permettait de balancer, d’un air incrédule, sa jambe droite croisée sur la gauche, le rustre, qui le guettait sournoisement, s’interrompait aussitôt et l’apostrophait de la façon la plus grossière. Et vainement Aristide protestait de son innocence ; vainement il se défendait d’appartenir à la congrégation des jésuites ; vainement il assurait qu’il n’était point un suppôt de la tyrannie, ajoutant qu’il appelait, avec autant d’ardeur que M. Riquemont lui-même, le bonheur et la liberté des peuples ; M. Riquemont criait à l’hypocrisie, et tenait le docteur Herbeau pour un séide du pouvoir. Je ne saurais dire tout ce que le bout de ruban rouge qu’il portait à sa boutonnière valut à ce pauvre bonhomme de sarcasmes amers et de brutales railleries. Dieu sait cependant qu’il l’avait gagné d’une manière bien innocente, et c’est le cas de raconter quelles voies détournées prit la Providence pour attacher le signe de l’honneur sur la poitrine d’Aristide : récompense tardive, inespérée, tant était épaisse la mousse de modestie sous laquelle il cachait la violette de ses mérites !

Ce grand fait s’accomplit durant les premières années de la restauration. Un prince de la branche aînée visitait les provinces du centre de la France. Comme Limoges le possédait en ses murs, Saint-Léonard sollicita l’honneur de le posséder à son tour. Le prince daigna y consentir. Ce fut un beau jour pour Saint-Léonard, le jour où il lui fut donné d’ouvrir ses portes à l’auguste visiteur. Dès le matin, la ville avait pris ses vêtemens de fête. La façade de la mairie était pavoisée de drapeaux ; les habitans, dans leur enthousiasme, avaient illuminé en plein jour. À midi, une députation, qui se composait des personnages les plus éminens de la cité, partit à cheval pour aller à la rencontre de l’altesse. De temps immémorial, Saint-Léonard n’avait vu, même en carnaval, une si belle cavalcade. Le