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bois et ses guérets, ses coteaux couronnés de blés noirs, ses prairies où bondissaient les poulains pétulans, espoir de ses haras. Louise aimait les beaux chevaux : elle eut un beau cheval, ardent à la course, docile à la voix de sa belle maîtresse. Ce fut pour elle une grande joie de se sentir emportée, les cheveux au vent, par le galop d’un coursier rapide. Puis elle s’intéressa aux travaux de la campagne. Tout était nouveau pour elle, M. Riquemont lui expliqua tout. Elle visita les étables ; elle eut une génisse de prédilection. Vers la chute du jour, elle aimait à voir les troupeaux passer sur la terrasse, en revenant des pacages. On était alors à l’époque de la moisson ; elle alla voir couper les blés, et revint, chaque soir, assise sur les gerbes dorées, traînée par les bœufs mugissans. Elle éleva des couvées de perdreaux ; elle eut ses oiseaux et ses fleurs. Elle apprit à battre la crème, moins blanche que ses blanches mains. Elle gouverna son ménage avec la joie d’une reine de quinze ans.

Malheureusement, toutes ces petites félicités n’étaient guère faites pour amortir l’énergie d’un cœur de dix-huit ans. Au bout d’un mois, Louise s’aperçut que toutes les ressources de l’esprit de M. Riquemont avaient été absorbées par la culture des champs et par l’éducation des chevaux. Elle demanda des livres, M. Riquemont lui conseilla de méditer la Maison Rustique. Un jour, entre une dissertation sur l’entretien des prairies artificielles et une discussion sur l’éparvin d’une jument, elle essaya de glisser quelques mots littéraires : M. Riquemont lui signifia qu’il avait en horreur les femmes pédantes et beaux-esprits. Elle manifesta le désir d’aller quelquefois à Aubusson, où elle avait laissé toutes ses affections d’enfance : M. Riquemont lui déclara qu’il détestait la sensiblerie et la locomotion chez les femmes. Pendant le premier mois de son mariage, M. Riquemont avait accompagné Louise dans toutes ses courses. Au bout d’un mois, — Louison, lui dit-il, tu connais maintenant le pays et les habitudes ; point de gêne entre nous, mon enfant ; je vais à mes affaires et te laisse à tes plaisirs. — À partir de ce jour, M. Riquemont ne rentra guère au gîte que pour manger et pour dormir. Louise voulut se plaindre de la solitude où se consumaient ses jours ; M. Riquemont lui demanda sérieusement si elle était folle. Elle le pria de vouloir attirer au château quelques personnes de la ville ; M. Riquemont répondit que les nouvelles connaissances étaient dangereuses. La pauvre enfant fit quelques prévenances au vieux curé du village : M. Riquemont cria qu’il n’aimait ni les jésuites ni les cafards, et qu’il n’entendait pas que sa femme frayât avec des Tartufes. Le second mois de son mariage,