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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

possible un séjour qu’il croyait périlleux ; il jouait le rôle de patron et de défenseur de Frédégonde, et il se gardait contre elle[1]. Ses préoccupations lui ramenaient vivement à l’esprit la fin violente de son frère et de ses neveux, Merowig et Chlodowig ; ces derniers surtout, morts à la fleur de l’âge et dont il n’avait reçu aucun mal, étaient le sujet de ses rêveries mêlées de craintes pour lui-même et de regrets pour les siens. Il en parlait sans cesse et se plaignait de ne pouvoir au moins leur donner une sépulture honorable, ignorant qu’il était du lieu où leurs corps avaient été jetés[2]. De telles pensées le conduisirent à chercher des informations à cet égard, et bientôt le bruit de sa pieuse enquête fut répandu autour de Paris. Sur ce bruit, un homme de la campagne vint au logis du roi, demandant à lui parler, et, admis en sa présence, il dit : « Si cela ne doit pas tourner contre moi dans la suite, j’indiquerai en quel lieu est le cadavre de Chlodowig[3]. »

Joyeux de ce qu’il venait d’entendre, le roi Gonthramn jura au paysan qu’il ne lui serait fait aucun mal, et que bien au contraire, s’il donnait des preuves de ce qu’il annonçait, on le récompenserait par des présens[4]. Alors cet homme reprit : « Ô roi, ce que je dis est la vérité, les faits eux-mêmes le prouveront. Lorsque Chlodowig eut été tué, et enterré sous l’auvent d’un oratoire, la reine, craignant qu’un jour il ne fût découvert et enseveli avec honneur, le fit jeter dans le lit de la Marne. Je le trouvai dans les filets que j’avais préparés, selon le besoin de mon métier qui est de prendre du poisson. J’ignorais qui ce pouvait être, mais à la longueur des cheveux je reconnus que c’était Chlodowig. Je le pris sur mes épaules et le portai au rivage, où je l’enterrai et lui fis un tombeau de gazon. Ses restes sont en sûreté, fais maintenant ce que tu voudras[5]. »

  1. Nam Fredegundem patrocinio suo fovebat, ipsamque sæpius ad convivium evocans, promittens se ei fieri maximum defensorem. (Greg. Turon., lib. VII, cap. VII.) — Sed quia non erat fidus ab hominibus inter quos venerat, armis se munivit, nec umquam ad ecclesiam aut reliqua loca quò ire delectabat, sine grandi pergebat custodia. (Ibid., cap. VIII, p. 296.)
  2. Denique cum interitum Merovechi atque Chlodovechi sæpius lamentaretur, nesciretque ubi eos postquam interfecerant, projecissent… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. VIII, cap. X, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 316)
  3. Venit ad regem homo qui diceret : « Si mihi contrarium in posterum non habetur, indicabo in quo loco Chlodovechi cadaver sit positum. » (Ibid.)
  4. Juravit rex nihil ei molestum fieri, sed potius muneribus ampliari. (Ibid.)
  5. Tunc ille : « Veritatem, inquit me loqui, o rex ipsa ratio quæ acta est com-