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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

cause que le mal qu’elle-même lui avait fait, cette haine était au comble ; un nouveau crime suivit de près le meurtre de Chlodowig.

Des serviteurs de la reine, chargés de ses ordres, partirent pour le Mans, et, arrivés là, ils se firent ouvrir les portes du monastère où, depuis plus de quinze ans, Audovère était retirée et où avait grandi auprès d’elle sa fille Hildeswinde, qui portait le surnom de Basine[1]. Toutes les deux étaient comprises, chacune pour sa part, dans l’horrible commission donnée par Frédégonde ; la mère fut mise à mort, et la fille, chose incroyable si un contemporain ne l’attestait, la propre fille du roi Hilperik fut violée, et, lui vivant, subit un tel outrage[2]. Les domaines qu’Audovère avait reçus autrefois comme consolation du divorce, ses autres biens et tous ceux de Chlodowig et de sa sœur devinrent la propriété de Frédégonde[3]. Quant à la malheureuse jeune fille qui survivait déshonorée, sans famille, quoiqu’elle eût un père, et que son père fût roi, elle alla s’enfermer dans le monastère de Poitiers, et se remettre aux soins maternels de la fondatrice de cette maison, la douce et noble Radegonde[4].

La femme à qui les souffrances de la torture avaient arraché des déclarations contre elle-même et contre Chlodowig fut condamnée par jugement à être brûlée vive. En allant au supplice, elle rétracta ses aveux, criant à haute voix que tout ce qu’elle avait dit était mensonge ; mais celui que ces paroles auraient dû faire tressaillir, Hilperik, ne fut point tiré de son étrange engourdissement, et les protestations de la condamnée expirèrent inutiles au milieu des flammes du bûcher[5]. Il n’y eut point d’autres supplices au palais de Chelles ; les serviteurs et les amis de Chlodowig, instruits par l’exemple de ce

  1. Voyez la première Lettre (livraison de la Revue du 1er décembre 1833). — Basine signifiait la bonne ; le radical de ce nom, bas ou bat, suivant les dialectes, se retrouve en allemand et en anglais moderne dans les comparatifs besser et better, et dans le superlatif best.
  2. Mater autem ejus crudeli morte necata, soror illius… delusa a pueris reginæ… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 257.)
  3. Opesque eorum omnes reginæ delatæ sunt. (Ibid.)
  4. In monasterium… transmittitur in quo nunc veste mutata consistit. (Ibid.) — Voyez la cinquième Lettre (livraison de la Revue du 1er mai 1836).
  5. Mulier quæ super Chlodovechum locuta fuerat, dijudicatur incendio concremari. Quæ cum duceretur, reclamare cœpit misera, se mendacia protulisse : sed nihil proficientibus verbis, ligata ad stipitem, vivens exuritur flammis. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 257.)