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derius, l’habile et heureux chef de l’armée d’invasion qui poursuivait alors en Aquitaine la conquête des villes de Hildebert et de Gonthramn[1]. Venu à la cour de Neustrie dans l’intervalle de deux campagnes, on eût dit qu’il s’y trouvait à point nommé pour aider de sa main la colère insensée du père contre le fils, et remplir ce rôle de ministre de la fatalité que les nobles gallo-romains jouèrent plus d’une fois dans les catastrophes domestiques de la dynastie mérovingienne[2].

À l’une des stations de la forêt, Hilperik s’arrêta et fit partir un message ordonnant à Chlodowig de se rendre auprès de lui, seul, pour un entretien secret[3]. Le jeune homme crut peut-être que ce rendez-vous mystérieux était arrangé par son père afin de lui donner le moyen de s’expliquer devant lui, de parler librement et de prouver son innocence ; du moins il obéit sans retard, n’ayant aucun soupçon de ce qui allait suivre. Arrivé à la forêt, il se trouva bientôt en présence de son père et des ducs Bob et Desiderius, qui se tenaient tous deux près de lui. On ne sait de quel air le roi accueillit son fils, s’il éclata en reproches et en malédictions, ou s’il n’y eut de sa part qu’un morne silence avec un signe de commandement. À ce signe, ou à l’ordre qui leur fut donné, Desiderius et Bob s’approchèrent du jeune prince, et le saisissant, chacun de son côté, par un bras, ils le tinrent avec force pendant qu’on lui enlevait son épée[4]. Quand il fut désarmé, on le dépouilla de ses riches habits, et on le couvrit de vêtemens grossiers ; accoutré ainsi et chargé de liens comme un vil malfaiteur, il fut conduit devant la reine et remis à sa discrétion[5].

Quoique Frédégonde eût d’avance bien arrêté ce qu’elle voulait

  1. Tunc rex in venationem directus… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 256.) — Bobo dus filius Mummoleni… Bodegisilus, filius Mummoleni suessionici. (Ibid., lib. VI, cap. XLVI, p. 290, et lib. X, cap. II, p. 364.) — Les syllabes Bob, Bab, Bod, Bad, Bat, se substituaient souvent, comme petit nom familier, aux noms germaniques formés du composant Bald ou Baud, et d’un autre mot quelconque. — Voyez les troisième et sixième Lettres (15 juillet 1834 et 1er décembre 1836).
  2. Voy. l’histoire d’Arcadius, sénateur arverne, (Grégoire de Tours, liv. III, ch. IX, XII et XVIII.)
  3. Eum præcepit arcessiri secretius. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 256.)
  4. Quo adveniente, ex jussu regis adprehensus in manicis a Desiderio atque Bobone ducibus… (Ibid.)
  5. Nudatur armis et vestibus, ac vili indumento contectus, reginæ vinctus adducitur. (Ibid.)