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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

elle se redressa, comme inspirée par une résolution soudaine, et dit au roi : « Eh bien ! si tu m’en crois, viens et jetons au feu tous ces rôles d’impôts iniques ; contentons-nous, pour notre fisc, de ce qui a suffi à ton père, le roi Chlother[1]. » Aussitôt elle donna l’ordre d’aller chercher dans ses coffres les registres de recensement que Marcus avait apportés des villes qui lui appartenaient. Lorsqu’elle les eut sous sa main, elle les prit l’un après l’autre et les jeta dans le large foyer, au milieu des tisons brûlans. Ses yeux s’animaient en voyant la flamme envelopper et consumer ces rôles obtenus à grand’ peine ; mais le roi Hilperik, étonné bien plus que joyeux de cette action inattendue, regardait sans proférer un seul mot d’acquiescement. « Est-ce que tu hésites ? lui dit la reine d’un ton impérieux, fais ce que tu me vois faire, afin que, si nous perdons nos fils, nous échappions du moins aux peines éternelles[2]. »

Obéissant à l’impulsion qui lui était donnée, Hilperik se rendit à la salle du palais où les actes publics étaient réunis et conservés ; il en fit extraire tous les rôles dressés pour la perception des nouvelles taxes, et commanda qu’ils fussent jetés au feu. Ensuite il envoya dans les diverses provinces de son royaume des hommes chargés d’annoncer que le décret de l’année précédente sur l’impôt territorial était annulé par le roi, et de défendre aux comtes et à tous les officiers fiscaux de l’exécuter à l’avenir[3].

Cependant la maladie mortelle suivait son cours ; le plus jeune des deux enfans succomba le premier. Ses parens voulurent qu’il fût enseveli dans la basilique de Saint-Denis, et ils firent transporter son corps du palais de Braire à Paris, sans l’accompagner eux-mêmes[4]. Tous leurs soins se portaient dès-lors sur Chlodobert, dont l’état ne donnait plus qu’une faible espérance. Renonçant pour lui à tout secours humain, ils le placèrent sur un brancard, et le conduisirent à pied jusque dans Soissons, à la basilique de Saint-Médard. Là,

  1. « Nunc, si placet, veni et incendamus omnes descriptiones iniquas, sufficiatque fisco nostro, quod suffecit patri regique Chlothachario. » (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 253.)
  2. Jussit libros exhiberi, qui de civitatibus suis per Marcum venerant ; projectisque in ignem, iterum ad regem conversa : « Quid tu, inquit, moraris ? Fac quod vides a me fieri. » (Ibid.)
  3. Tunc rex compunctus corde, tradidit omnes libros descriptionum igni, conflagratisque illis, misit qui futuras prohiberent descriptiones. (Ibid.)
  4. Post hæc infantulus junior dum nimio labore tabescit, extingitur ; quem cum maximo mœrore deducentes a villa Brennaco Parisius, ad basilicam sancti Dionysii sepelire mandaverunt. (Ibid.)