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rent le principal rôle parmi les remèdes qu’on essaya[1]. La mortalité, qui était effrayante, frappait surtout les enfans et les personnes jeunes. La douleur des pères et des mères dominait dans ces scènes lugubres, comme le trait le plus déchirant ; elle arrache au narrateur contemporain un cri de sympathie dont l’expression a quelque chose de tendre et de gracieux : « Nous perdions, dit-il, nos doux et chers petits enfans que nous avions réchauffés dans notre sein, portés dans nos bras, nourris, avec un soin attentif, d’alimens donnés de notre propre main ; mais nous essuyâmes nos larmes et nous dîmes avec le saint homme Job : « Le Seigneur me les a donnés, le Seigneur me les a ôtés, que le nom du Seigneur soit béni[2]. »

Lorsque l’épidémie, après avoir désolé Paris et son territoire, se porta vers Soissons, enveloppant avec cette ville la résidence royale de Braine, l’un des premiers qu’elle atteignit fut le roi Hilperik. Il ressentit les graves symptômes du mal à son début, mais il eut, dans cette épreuve, le bénéfice de l’âge, et il se releva promptement[3]. À peine il entrait en convalescence, que le plus jeune de ses fils, Dagobert, qui n’était pas encore baptisé, tomba malade. Par un sentiment de prévoyance religieuse, et dans l’espoir d’attirer sur lui la protection divine, ses parens se hâtèrent de le présenter au baptême[4] ; l’enfant parut se trouver un peu mieux, mais bientôt son frère, Chlodobert, âgé de quinze ans, fut pris comme lui de la maladie régnante[5]. À la vue de ses deux fils en péril de mort, Frédé-

  1. Dysentericus morbus pene Gallias totas præoccupavit… a multis autem adserebatur venenum occultum esse. Rusticiores verò corales hoc pusulas nominabant ; quod non est incredibile, quia missiæ in scapulis sive cruribus ventosæ, procedentibus erumpentibusque vesicis, decursa sanie multi liberabantur ; sed et herbæ quæ venenis medentur, potui sumptæ plerisque presidia contulerunt. (Ibid., lib. V, cap. XXXV, p. 253.) — Voyez dans Grégoire de Tours l’énumération des symptômes, qui sont évidemment ceux de la petite vérole maligne.
  2. Et quidem primum hæc infirmitas a mense Augusto initiata parvulos adolescentes adripuit letoque subegit. Perdidimus dulces et caros nobis infantulos, quos aut gremiis fovimus, aut ulnis bajulavimus aut propria manu ministratis cibis ipsos studio sagaciore nutrivimus ; sed abstersis lacrymis cum beato Job diximus… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II ; pag. 253.) — Job, ch. I, v. 21.
  3. Igitur in his diebus Chilpericus rex graviter ægrotavit. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV, t. II, p. 253.)
  4. Quo convalescente, filius ejus junior, necdùm ex aqua et spiritu sancto renatus, ægrotare cœpit. Quem in extremis videntes, baptismo abluerunt. (Ibid.)
  5. Quo parumper melius agente, frater ejus senior, nomine Chlodobertus, ab hoc morbo corripitur. (ibid.)