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d’entrer dans la ville, soit de gré, soit de force, et de sévir contre les habitans par des exécutions à mort, par un appareil de supplices capable d’inspirer la terreur, et par un surcroît d’impositions[1]. L’ordre fut exécuté de point en point ; les commissaires royaux arrivèrent à Limoges, et le peuple qui s’était soulevé témérairement n’osa ou ne put rien pour se défendre. Après enquête sommaire sur les circonstances de la révolte, une sorte de proscription enveloppa les sénateurs de Limoges, et, avec eux, tout ce qu’il y avait de citoyens considérables. Des abbés et des prêtres, accusés d’avoir animé le peuple à l’incendie des livres de recensement, furent soumis, en place publique, à différens genres de tortures[2]. Tous les biens des suppliciés et des proscrits échurent au fisc, et la ville fut frappée d’un tribut exceptionnel beaucoup plus dur que les impôts qu’elle avait refusé de payer[3].

Pendant que les citoyens de Limoges étaient si cruellement châtiés de leur rébellion d’un jour, le référendaire Marcus poursuivait sa tournée administrative ; il la termina sans rencontrer d’obstacles. Six ou huit mois après son départ, il revint au palais de Braine, apportant avec lui l’argent perçu comme premier terme du nouvel impôt, et les rôles de recensement et de répartition arrêtés pour toutes les villes du royaume. Ceux des villes dont le revenu appartenait à la reine Frédégonde lui furent remis pour être gardés par elle dans les coffres où elle renfermait son or, ses bijoux, ses étoffes précieuses et les titres de ses domaines[4] ; le reste fut réintégré, ou prit place pour la première fois, dans le trésor royal de Neustrie. De cette vaste opération financière, Marcus tira d’immenses profits plus ou moins illicites ; ses richesses furent un objet de haine et de malédiction pour ses frères d’origine, les Gallo-Romains, désolés et ruinés par

  1. Undè multùm molestus rex dirigens de latere suo personas, immensis damnis populum adflixit, suppliciisque conterruit, morte multavit. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXIX, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 151.)
  2. Ferunt etiam tunc abbates atque presbyteros ad stipites extensos diversis subjacuisse tormentis, calumniantibus regalibus missis, quod in seditione populi ad incendendos libros satellites adfuissent. (Ibid.)
  3. Acerbiora quoque deinceps infligentes tributa. (Ibid.)
  4. Regina… jussit libros exhiberi, qui de civitatibus suis per Marcum venerant. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 253.) — Et ingressa in regestum (Fredegundis) reseravit arcam monilibus ornamentisque pretiosis refertam ; de qua cum diutissime res diversas extrahens filiæ adstanti porrigeret. (Ibid., lib. IX, cap. XXXIV, p. 352.)