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tigeaient autour de ma belle-sœur, c’eût été embarrassant : pour simplifier la chose, mon jaloux prend le parti de faire un exemple. Parmi les galans qui l’offusquaient, il choisit le plus empressé, et lui cherche, devant trente personnes, la plus allemande des querelles. Le quidam essaie de tourner l’affaire en plaisanterie et un soufflet en plein visage le force de la prendre au sérieux. Un duel s’ensuit, et Baretty casse la jambe à son adversaire, qui ne dansera plus, le pauvre diable, car il a fallu l’amputer. Vacarme horrible, comme vous pouvez croire. Tout le monde donne tort à Baretty, la justice intervient, et, pour éviter l’esclandre d’une arrestation, mon aimable beau-frère est obligé de se constituer prisonnier. Bref, il est resté trois mois sous clé pendant l’instruction de l’affaire ; fort heureux d’être acquitté en définitive par le jury. Vous croyez peut-être que la leçon lui a profité ? Vous ne connaissez pas le Corse. À la première occasion il recommencera, et je serais très fâché que cette occasion se présentât chez moi. Vous voilà donc bien avertis, messieurs les Parisiens : quand vous verrez ma belle-sœur, permis à vous de l’admirer, mais que ce soit de loin et en silence. Autrement, gare la tragédie !

— En vérité, vous faites de votre beau-frère un ogre, dit Maléchard en souriant d’un air ironique.

— Avisez-vous de paraître amoureux de sa femme, répondit M. Richomme ; vous verrez s’il fait de vous plus d’une bouchée.

— Je n’aurai garde, reprit mon compagnon de voyage d’un ton léger ; quoique je ne me pique pas d’être un beau danseur, je tiens à mes jambes.

Cette plaisanterie fit sourire les convives, à l’exception de Mme Richomme, qui, conservant un sérieux glacial, se leva inopinément et rompit ainsi, en nous forçant de suivre son exemple, une conversation qui semblait lui déplaire outre mesure.

La contradiction est naturelle à l’homme : j’en eus bientôt la preuve, car l’avertissement de notre hôte produisit, à mon égard du moins, un effet tout opposé à celui qu’il en attendait sans doute. Mme Baretty, que je n’avais jamais vue, s’empara soudain de mon imagination. Je savais qu’elle était jolie ; mais ce mérite, si recommandable qu’il fût, n’eût pas suffi pour me jeter dans la rêverie où je tombai tout en humant une tasse d’excellent café. Pour mon esprit enclin au romanesque, l’aimable inconnue avait un attrait plus violent encore que celui de ses charmes. Il est incontestable que les pommes du jardin des Hespérides empruntaient une partie de leur